Retour sur les écritoires de l'ONU du droit d'ingérence, concept élaboré en 1979 par le philosophe Jean-François Revel. Goût retrouvé pour l'offensive militaire de la part de la France, apparemment poussée dans cette direction par les intrigues d'un second penseur, Bernard-Henri Lévy, qui doit beaucoup au premier. Et réduction prudemment engagée par Barack Obama du rôle de «gros bras» que les États-Unis ont, souvent en solo, joué dans le monde depuis des décennies...

L'affaire libyenne chamboule énormément de choses, on le voit.

Et, couplée à la réaction qu'elle provoque, elle soulève des questions auxquelles la communauté internationale - un concept qui reprend du sens, lui aussi - devra répondre rapidement.

Exemple.

Jusqu'où peut-on et doit-on aller en Libye? La résolution 1973 du Conseil de sécurité de l'ONU n'est pas claire à ce sujet. Cela a d'ailleurs poussé la Ligue arabe à prendre ses distances, hier, avec l'opération qu'elle avait pourtant appuyée 48 heures plus tôt. Même le chef d'état-major interarmées des États-Unis, Mike Mullen, se refusait de dire à CNN, hier, si le départ - sous une forme ou une autre... - de Mouammar Kadhafi est le but réellement poursuivi. Or, le cas échéant, que deviendrait la Libye? Une nouvelle Somalie, comme plusieurs le craignent? On sait peu de choses, en effet, sur la relève politique qui se dégagerait de l'insurrection.

Exemple, encore.

Des victimes civiles de pouvoirs dictatoriaux, il y en a eu également au cours des derniers jours au Yémen, où on compte 200 morts et blessés depuis vendredi. À Bahreïn (16 morts), où l'armée saoudienne est venue soutenir la monarchie. Et en Syrie, où la répression violente s'est intensifiée, hier. À quel moment le droit d'ingérence tout juste sorti des boules à mites se transformera-t-il en devoir d'intervenir en ces endroits également?

La situation actuelle est différente de celle qui existait en 2001, lorsque l'ONU avalisait l'intervention en Afghanistan, réplique à l'agression du 11 septembre. Différente aussi du contexte dans lequel s'est par la suite engagée l'opération en Irak, illégitime, universellement dénoncée.

Cette fois-ci, avec une étonnante précipitation, nous nous immisçons par la brèche libyenne dans une aventure qui n'est pas la nôtre et dont on ne sait où elle nous conduira. Une aventure qui se déroule dans les régions les plus sensibles du globe, où la sympathie populaire n'est pas acquise à l'Occident, c'est le moins qu'on puisse dire! Certes, intervenir en Libye est moral. Mais ça ne suffit pas. Personne, ni à Paris, ni à Washington, ni à Ottawa, n'a encore répondu à la mère de toutes les questions.

Qui est celle-ci: à la lumière des récentes expériences sur ces terres, en vue de quels objectifs atteignables l'Occident devrait-il s'impliquer militairement dans le «printemps arabe»?