S'il est une chose qui se dégage du budget 2012 présenté hier au Congrès par le président Obama, c'est la pénible image de finances publiques en plein désarroi. Comme la Nouvelle-Zélande dans les années 80, comme le Canada dans les années 90, les finances publiques américaines ont frappé un mur, et nulle part cela n'apparaît plus clairement que dans les documents budgétaires.

La seule différence, c'est qu'aux États-Unis, les chiffres sont beaucoup plus gros qu'au Canada, a fortiori en Nouvelle-Zélande. Voyons plutôt: un budget de dépenses de 3700 milliards de dollars (dont 556 milliards pour des travaux d'infrastructures), un déficit de 1100 milliards. Certes, l'administration Obama veut se faire rassurante. Ce déficit, tout monstrueux puisse-t-il paraître, représente une amélioration par rapport au trou de 1600 milliards pour l'exercice en cours.

Ce trou de 1600 milliards, annoncé hier, dépasse de 200 milliards les prévisions de l'administration. Deux cent milliards, tout de même! C'est cette accumulation affolante de milliards qui donne le vertige. Ainsi, 1600 milliards, placés à 3%, rapporteraient 132 millions PAR JOUR en intérêts.

Washington n'a plus le choix. Le déficit de cette année représente 10,6% du produit intérieur brut (PIB), la proportion la plus élevée depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. En 1945, le déficit atteignait 21,5% du PIB, mais il faut dire que l'effort de guerre américain contre le Japon impérial et l'Allemagne nazie était infiniment plus important que le financement des guerres en Irak et en Afghanistan; d'ailleurs, ce déficit s'est rapidement résorbé avec la forte croissance des années d'après-guerre.

On se souvient des sacrifices qu'Ottawa a du demander aux Canadiens pour venir à bout du cercle vicieux des déficits et de la dette. Or, le pire déficit de cette époque, celui du gouvernement Trudeau en 1984, qui est le point de départ de la crise canadienne des finances publiques, représentait 8,4% du PIB, beaucoup moins que le déficit américain de 2011.

On sait assez bien comment les Américains ont pu en arriver là. Les baisses d'impôts annoncées par le président Bush ont ralenti les recettes budgétaires provenant de cette source importante. Les guerres en Irak et en Afghanistan ont gonflé les dépenses militaires. Enfin, le sauvetage des institutions financières lors de la crise de 2008 a englouti une fortune. Tout cela a précipité les finances publiques dans le cul-de-sac que l'on sait. Il faut maintenant s'en sortir.

Le problème, c'est que les chiffres présentés hier par la Maison-Blanche sont, au mieux, à peine crédibles. Ainsi, comme on vient de le voir, le déficit sera ramené à 1100 milliard, ou 7% du PIB, l'an prochain; selon les prévisions de l'administration, il continuera de se résorber pour atteindre 627 milliards dans cinq ans; c'est 3% du PIB, un niveau que la plupart des économistes jugent acceptable.

Pour y parvenir, la président Obama annonce des compressions dans les dépenses publiques, mais sans toucher à l'aide sociale ni aux programmes Medicare et Medicaid (qui représentent à eux seuls 40% des dépenses). Il décrète aussi quelques hausses d'impôts pour les riches (ceux qui gagnent 250 000$ et plus), mesure qui n'apportera pas beaucoup d'argent mais qui envoie une image forte aux contribuables à revenus moyens. Ces mesures seront loin d'être suffisantes. Pour le reste, il compte essentiellement sur la croissance économique. Le pari est très risqué. Il entre même en contradiction avec l'opinion d'un groupe d'experts nommés par le président Obama lui-même. Selon eux, pour ramener le déficit à un niveau acceptable, il faudrait sabrer les dépenses de 4000 milliards (un autre montant à donner le vertige) au cours des 10 prochaines années. Cela ne pourra pas se faire sans toucher à l'aide sociale et à la santé. À côté de ces recommandations, les prévisions du budget sont écrites à l'encre rose. Même le sénateur démocrate (le parti d'Obama) Kent Conrad, président du Comité du budget au Sénat, estime ouvertement que les efforts de la Maison-Blanche sont insuffisants.

En fait, les prévisions du budget rappellent dangereusement celles du ministre canadien Michael Wilson, aux prises avec un problème semblable il y a une vingtaine d'années. Lui aussi misait beaucoup sur la croissance économique. Dans son budget de 1991, il annonçait un déficit de 31 milliards, mais assurait que celui-ci serait ramené à 6,5 milliards cinq ans plus tard. Or, cinq ans plus tard, le déficit est ressorti à... 38 milliards!

La réalité est la suivante. Les finances publiques américaines en sont au même point de délabrement, et même pire, que celle du Canada au début des années 90. Les Américains devront se faire à l'idée: rétablir de l'ordre dans les finances publiques, c'est long, c'est dur, ça fait mal. Au Canada (où le déficit budgétaire n'est que de 2,9%), on le sait. On leur souhaite bon courage, ils en auront besoin.