Sortir au théâtre. Aller au restaurant sans se demander s'il en a les moyens. Michel Vézina, 71 ans, n'a pas la tête aux dépenses folles.

Vêtu d'un jeans noir et d'une chemise à carreaux, ce retraité a simplement envie de retrouver cette légèreté qu'il avait le 25 août 2005 au matin. Avant que sa vie ne bascule avec une perquisition fracassante de la Gendarmerie royale du Canada, boulevard René-Lévesque. Avant que les autorités ne gèlent tous les fonds administrés par la firme Norbourg. Dont les 310 000 dollars qu'il avait économisés avec son épouse en trimant une vie durant comme débosseleur.

Michel Vézina a vendu la roulotte neuve avec laquelle il avait planifié faire le tour du Québec. Il est retourné au travail. Puis, quand il n'a plus eu la force de remodeler des carrosseries de voiture, il s'est mis à rénover des maisons. Encore lundi, il a accepté un petit contrat.

«Ne plus être obligé de travailler, cela change le portrait», dit Michel Vézina, le sourire accroché aux lèvres.

De ces cinq années et demie d'angoisse, de sa haine mêlée de mépris pour Vincent Lacroix, il veut tout oublier. «Moi, je suis prêt à tourner la page», dit-il.

Tourner la page. C'est exactement ce que font les entreprises et institutions qui étaient visées par le recours collectif intenté par Michel Vézina et Wilhelm Pellemans au nom des 9200 victimes des fonds Norbourg.

Pour éviter un coûteux procès de 16 mois, et pour éviter une condamnation humiliante, elles verseront 55 millions aux investisseurs floués par Vincent Lacroix et ses associés. Avec cette somme (de laquelle il faudra néanmoins déduire des millions en frais d'avocats), qui s'ajoute aux autres dédommagements (Fonds d'indemnisation des services financiers, liquidation des actifs de Vincent Lacroix, de Norbourg et de ses filiales), les investisseurs floués peuvent espérer retrouver le gros de leurs investissements. D'ici quelques mois, même, si toutes les formalités se passent rondement.

De toute sa carrière, l'avocat Jacques Larochelle n'a jamais vu une histoire de fraude se terminer aussi bien, si tant est qu'on puisse oublier ce long cauchemar. «C'est un règlement vraiment exceptionnel», a renchéri Wilhelm Pellemans, ce médecin qui était l'un des deux demandeurs de ce recours collectif.

Ce gros chèque ne s'accompagne évidemment pas d'excuses. Sans aucune admission de responsabilité. C'est la formule consacrée lorsque les parties réussissent à régler à l'amiable un recours collectif avant l'ouverture formelle du procès.

Il n'empêche que ce dédommagement extraordinairement élevé est à la hauteur des errements et des bourdes incriminantes des institutions qui étaient censées surveiller les gestionnaires de Norbourg et veiller sur les économies des petits investisseurs. Disons que les sociétés qui contribueront à ce règlement, dont l'Autorité des marchés financiers (AMF), le gardien de valeurs Northern Trust et les vérificateurs KPMG, en avaient lourd sur la conscience...

La contribution de l'AMF, de 20 millions de dollars, est d'autant plus étonnante que le régulateur des marchés financiers au Québec jouit en principe d'une immunité contre les poursuites. Mais cette immunité n'est pas absolue, a rappelé Jacques Larochelle. Aussi, il n'est pas dit que les avocats qui représentent les victimes de Norbourg n'auraient pas pu démontrer que l'AMF a commis des fautes lourdes.

Surtout, le dossier de Norbourg a pris une telle dimension dans l'opinion publique que le gouvernement du Québec a voulu couper court au déballage des horreurs.

Norbourg n'est pas le plus important scandale financier de l'histoire du Québec. La fraude commise chez Norshield est trois fois plus importante que celle de Norbourg. Les pertes des investisseurs de Mount Real sont aussi importantes que celles des Québécois qui ont investi dans Norbourg.

Mais ces victimes, qui n'ont pas eu l'occasion ou le courage de raconter leur histoire, sont invisibles. Alors que tous se souviennent de Diane Ruest. Cette retraitée d'Hydro-Québec a dû déménager de Rimouski à Trois-Rivières pour trouver un emploi dans un centre d'appels, s'éloignant ainsi de sa soeur handicapée dont elle s'occupait. Pauvre et seule, elle a même songé à mettre fin à ses jours avant de se ressaisir.

Le drame de Norbourg a aussi forcé les autorités québécoises à réagir. À se donner plus de moyens. Et à être moins polies.

Il fut un temps où les gens de l'AMF et, avant eux, de la Commissions des valeurs mobilières du Québec semblaient réticentes à intervenir, de peur de ruiner la réputation de firmes financières dont le principal actif tient à la confiance des investisseurs. Il fut un temps où les procureurs et les juges ne prenaient pas les crimes économiques au sérieux.

Norbourg a changé les choses. Il y a l'avant et l'après. Mais tout est loin d'être parfait. Avec plus de ressources, l'AMF travaille avec plus de célérité. Pressée qu'elle est de redorer son blason, l'Autorité épingle toutefois plus de petits arnaqueurs que les cerveaux derrière les grands réseaux. Les fraudes économiques restent longues et fastidieuses à décortiquer. Elles exigent d'importantes ressources à un moment où la corruption et le crime organisé retiennent l'attention des politiciens et des corps policiers.

En ce sens, il n'est pas si facile que cela de tourner la page sur Norbourg, qui prendra un autre nom demain. Là où il y a de l'homme et de l'argent, il y a de l'hommerie.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca