C'est un immense cadeau d'une valeur de 260 millions de dollars que les milliers de cadres de Bell Canada (BCE) se sont partagé hier, à quelques jours de Noël.

En effet, le mardi 21 décembre 2010 correspondait au jour ultime où quelque 7,5 millions d'unités d'actions de négociation restreinte devenaient «acquises» entre les mains des dirigeants de Bell et de ses filiales. Les données sur ce nombre d'actions proviennent du dernier rapport trimestriel.

Pour qu'elles deviennent «acquises», c'est-à-dire pleinement négociables comme des actions ordinaires, les dirigeants, à qui ces unités d'actions avaient été octroyées le 22 décembre 2008, devaient rester en poste. L'action de BCE se négocie présentement autour des 35$ pièce.

Notez que les cinq membres de la haute direction accaparent à eux seuls 17% de la cagnotte, soit près de 1,3 million d'actions, pour une valeur de 45 millions de dollars.

Ce régime d'intéressement des cadres avait été mis sur pied dans les jours qui ont suivi l'annonce du retentissant échec de la privatisation de Bell Canada par Teachers', le régime de retraite des enseignants de l'Ontario. Dans le cadre de l'avortement de cette gigantesque offre publique d'achat (OPA), les actionnaires de BCE avaient vu le cours de l'action chuter dramatiquement de moitié par rapport au prix initialement offert de 42,75$, en juillet 2007.

Pourquoi offrir un programme d'encouragement aussi généreux envers les cadres de Bell?

Selon la porte-parole Marie-Ève Francoeur, la création de ce régime d'intéressement vise à récompenser les gestionnaires qui ont, dit-elle, travaillé fort ces deux dernières années à faire de Bell un leader canadien des télécommunications.

«Comme vous le savez sans doute, indique-t-elle dans son courriel à La Presse Affaires, de tels programmes (d'intéressement) sont mis sur pied par des entreprises de tous genres, pour attirer et garder les meilleurs gestionnaires de haut niveau. Suite à l'échec de la privatisation de Teachers' en 2008 et pour le déploiement de notre nouvelle stratégie, BCE avait un intérêt spécial de mettre un tel programme sur pied.»

Aux actionnaires qui se sentiront victimes d'un généreux et très onéreux cadeau (une valeur de 260 millions en actions) de la part de la direction de Bell Canada à ses gestionnaires, je les invite à lire et relire les explications de la porte-parole du géant canadien des télécommunications.

«La performance de Bell ces deux dernières années, pour le plus grand bénéfice de nos clients et de nos actionnaires, a illustré que Bell a très certainement des gestionnaires qui figurent parmi les meilleurs de l'industrie. Notre performance sur les marchés est de beaucoup meilleure à ce qu'elle était il y a deux ans et notre action a connu une croissance de plus de 60% depuis 2008 - et même de plus de 80% si on tient compte de la redistribution de dividendes. Nous croyons qu'il s'agit de la meilleure performance d'une entreprise en télécommunications en Amérique du Nord.»

La majorité des heureux gestionnaires bénéficiaires ont probablement imité leur grand patron, George Cope, qui a converti ses unités d'actions de négociation restreinte en unités d'actions différées, donc payables plus tard.

Quel est l'avantage de cette stratégie? Une question de fiscalité. Cela lui permet de reporter à plus tard les impôts à payer sur cette forme de rémunération par actions. M. Cope entend ne se les faire payer qu'après la cessation de son emploi chez Bell.

Par ailleurs, il faut dire que les dirigeants de Bell Canada n'en sont pas à leur premier gros cadeau en actions. En juin 2008, la société leur avait versé une alléchante prime de maintien en fonction de plusieurs dizaines de millions de dollars, en actions. Pourquoi cette prime? Pour être restés en poste dans le cadre de la période transitoire (juillet 2007 à juin 2008) devant mener à la privatisation de Bell Canada par le groupe de Teachers'.

Alors que les actionnaires perdaient une fortune en voyant le prix de leurs actions chuter considérablement à la suite de l'avortement de cette privatisation, les dirigeants de Bell Canada, eux, réussissaient à empocher quand même cette généreuse prime de maintien en fonction.

Chez Bell, les dirigeants se protègent le portefeuille!