Dure, dure semaine pour Bombardier. Le genre de semaine qui fait dire aux anglophones que, quand il pleut, c'est le déluge.

Les derniers résultats financiers de l'entreprise, en forte baisse par rapport à ceux enregistrés à la même période l'an dernier, n'ont pas éclipsé les difficultés de la CSeries. Bombardier ne profitera que d'une fenêtre de trois ans avant qu'Airbus ne propose aux transporteurs un avion plus performant que son A319 actuel pour rivaliser avec la CSeries. Pendant ce temps, les commandes pour le plus grand appareil jamais conçu par Bombardier sont aussi rares que les billets d'avion Aéroplan à points modiques.

Seule consolation, le nouveau maire de Toronto, qui déteste les tramways à s'en confesser, pourrait revenir sur sa promesse électorale d'annuler une commande de 182 voitures de Bombardier. Rob Ford vient de réaliser que les pénalités pour résilier ce contrat de 770 millions de dollars sont coûteuses!

Les résultats du troisième trimestre de Bombardier, dévoilés hier, brossent le portrait d'une entreprise qui roule à deux vitesses.

D'un côté, la division Transport. Malgré le recul (temporaire) de ses ventes, ce fabricant de matériel roulant affiche une rentabilité étonnante (marge bénéficiaire de 6,5%). Et ce, grâce à la discipline de l'équipe d'André Navarri. Plus important, le carnet de commandes atteint la somme record de 32,7 milliards US.

Il y a là de quoi rassurer les actionnaires de longue date qui, dans leurs rêves, voient l'action de Bombardier remonter au-dessus des 20 dollars...

Mais pour les Québécois qui ne sont pas actionnaires de Bombardier, la seule chose qui compte, c'est le sort de sa division aéronautique, les activités en transport étant concentrées en Europe.

Ils s'intéressent d'abord aux avions commerciaux qui sont assemblés au Québec, une activité qu'ils ont subventionnée dans l'espoir de créer et de maintenir des milliers d'emplois ici. Or, de ce côté, l'atterrissage s'annonce brutal.

Bombardier prévoit que ses livraisons d'avions commerciaux chuteront de 20% au cours de cette année financière, qui se termine le 31 janvier. Mais, pour les neuf premiers mois de l'année, la chute observée est de l'ordre de 38%. D'ici la fin janvier, il faudra assembler beaucoup de CRJ1000, les jets régionaux les plus grands de Bombardier, pour rattraper le terrain perdu, et encore.

Pis, le carnet de commandes pour les jets régionaux est d'une légèreté affolante pour les 29 600 employés de cette division. Il ne reste que 103 de ces appareils à livrer, dont 10 jets régionaux de 70 sièges à Mesa Air, un transporteur régional en restructuration qui pourrait déchirer son contrat.

Dans un monde idéal, la CSeries prendrait le relais. Mais pour l'instant, c'est tout sauf. Des clients pressentis de la première heure comme Qatar Airways se font tirer l'oreille. Et les transporteurs dont l'intérêt doit se traduire prochainement en commandes fermes - c'est pour bientôt, répète-t-on de téléconférence en téléconférence - ressemblent de plus en plus à des clients imaginaires.

La triste réalité, c'est que cinq ans après le lancement de la CSeries, l'avionneur ne compte que 90 avions en commande ferme, de trois clients. Or, Bombardier s'était fixé pour objectif d'avoir entre 50 et 100 avions en commande de plus de un client avant même de se lancer dans cette aventure de plus de 3 milliards US.

Les dirigeants de Bombardier ont tout fait pour minimiser la riposte d'Airbus d'hier. Cet avionneur européen proposera à ses clients d'équiper ses plus petits jets commerciaux de la famille A320 avec le même moteur sélectionné par Bombardier.

Guy Hachey, président et chef de l'exploitation de Bombardier Aéronautique, a noté avec justesse que si Airbus sélectionne lui aussi le PurePower de Pratt & Whitney, ce moteur en développement ne doit pas être si bancal que cela. Il a aussi insisté sur le fait que les économies en carburant promises par Airbus seront atténuées par la lourdeur du A319, qui devra être modifié pour accommoder des moteurs plus pesants. Encore ici, Guy Hachey a raison.

Toutefois, il est clair que Bombardier servira de cobaye à Airbus. S'il y a des problèmes avec ce moteur, c'est l'avionneur montréalais qui en souffrira le premier. Par ailleurs, Bombardier devra s'assurer de respecter son calendrier, qui prévoit une première livraison en 2013. En préférant changer de moteur plutôt que de redessiner complètement le A320 et ses dérivés A319 et A321, Airbus pourrait offrir des avions plus performants dès 2016. Pour les pressés, l'avantage de Bombardier ne durera que trois ans.

Est-ce que Bombardier convaincra les transporteurs de troquer le A319 d'Airbus pour tester un appareil sans historique qui n'a pas de points en commun avec le reste de leurs parcs d'avions? Tout cela parce qu'il est un peu moins coûteux et gourmand en carburant?

Jusqu'ici, la réponse est tristement non. Et avec une reprise qui ramollit, on ne voit pas quand le vent tournera.

Bombardier n'avait pas le choix de tenter le pari - risqué - de la CSeries. Le marché se déplace vers des appareils de plus en plus grands. Et puis, l'avionneur montréalais ne pouvait plus étirer une autre fois ses jets régionaux. Mais le conseil d'administration a maintenant la responsabilité de se poser des questions difficiles.

Si les commandes n'entrent pas, faut-il faire marche arrière avec la CSeries, compte tenu de ses frais de développement élevés? Est-ce que l'aviation commerciale reste un créneau intéressant pour Bombardier, vu les difficultés financières quasi perpétuelles des compagnies aériennes? Sinon, faudrait-il envisager un retrait de ce secteur, de la même façon que Bombardier a cédé ses activités patrimoniales dans la fabrication de motoneiges et de motomarines?

Dures questions pour dure semaine.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca