Personne ne contredira le magazine britannique The Economist lorsqu'il affirme que «peu de gens liront le livre de Keith Richards, Life, dans le but d'y trouver un regard pénétrant sur le monde des affaires». De prime abord, on cherchera plutôt... de la drogue, du sexe et du rock'n'roll dans les mémoires du vétéran guitariste des Rolling Stones.

Et, sous ce rapport, Life est certainement une bonne affaire!

Néanmoins, le plus célèbre bum de la planète, parvenu par on ne sait quel miracle à l'âge de 67 ans (dans quelques jours), a pour de vrai quelques perles de sagesse à laisser en héritage. Et pas seulement en économie. Il manifeste aussi en matière de relations humaines, de sensibilité sociale ou d'amour de l'art une perspicacité et un raffinement qu'on ne soupçonnait pas chez lui.

Richards aime dire qu'il a vécu comme un hors-la-loi, en effet, et on l'a souvent traité comme tel: encore aujourd'hui, il entretient un lourd contentieux avec la police britannique...

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Quoi qu'il en soit, les Rolling Stones ont un demi-siècle d'existence, ne se sont jamais vraiment séparés, projettent de tourner encore, ont (presque) toujours eu le contrôle de leur art, de leur environnement et de leurs finances. Dans l'univers conflictuel et souvent vénal de la musique populaire, personne d'autre n'est arrivé à ça. Surtout pas les Beatles, que Richards évoque à répétition dans Life.

À quoi tient ce succès? À une attitude respectueuse et consciencieuse vis-à-vis du métier. À une vision lucide, dénuée d'obséquiosité comme de mépris, du monde de l'argent. À une sorte de science infuse en matière de psychologie des stars - d'eux-mêmes, en somme!

Il faut lire en parallèle Life ainsi que l'ouvrage de Peter Doggett, You Never Give Me Your Money (non traduit en français), qui raconte la déconfiture de l'entreprise, de l'amitié et des finances des Beatles. Il le faut pour comprendre comment les Stones, avec leurs mines patibulaires, ont réussi où les gentils garçons de Liverpool ont échoué. Comprendre comment l'inimitié entre Richards et Mick Jagger n'a rien détruit, pas plus que les dérapages de Brian Jones, alors que l'étiquette Lennon-McCartney s'est rapidement et tragiquement déchirée. Comprendre comment les uns ont bien administré la richesse, alors que les autres ont présidé à de majestueuses dilapidations.

«L'histoire (des Beatles) est teintée de regrets et de récriminations», observe Doggett. Keith Richards, lui, parle avec satisfaction (!) de la longue aventure stonienne, épisodes troubles compris.

En refermant le bouquin de «Keef», comme on l'appelle, on se dit que quelques cénacles culturels contemporains bon chic bon genre, confits dans toutes les rectitudes et raides comme des barreaux de chaise, manquent cruellement de bums de cette trempe.