Millenia Hope, Global Biotech et SciMeDent, partenaire de Genesis Biopharma. Trois entreprises de la constellation Millenia Hope dont je vous ai parlé cette semaine. Trois biotechs dont les comportements en Bourse sont fantasques, à voir les variations abruptes de volumes de transactions et de prix des actions.

Pas besoin d'être un expert: ces mouvements ressemblent à ceux que les analystes en fraudes associent à un stratagème de «pump&dump». Une entreprise publie des communiqués prometteurs. Des commentaires élogieux se propagent sur des sites de discussions. Des investisseurs se laissent séduire. Le titre monte. Puis, tout d'un coup, il chute brutalement, sous le coup de ventes massives. À la fin, les petits investisseurs restent pris avec des actions qui ne valent plus grand-chose.

 

Est-ce que Millenia Hope et ses filiales sont des pièges pour investisseurs? Impossible de l'affirmer. La Gendarmerie royale du Canada (GRC), qui soupçonne un dirigeant de Millenia Hope de manipulation boursière, n'a pas encore terminé son enquête. Quant à l'Autorité des marchés financiers (AMF), la police de la Bourse au Québec, elle attend que la GRC ait terminé son travail pour poursuivre ses propres investigations sur de faux courtiers qui gravitent autour de l'entreprise.

Ce qui complique cette affaire, c'est que le champ d'action des autorités canadiennes est très limité. Les titres de ces entreprises se négocient aux États-Unis. Qui plus est, ils n'évoluent pas sur les grands parquets comme la Bourse de New York. Ils se négocient sur des marchés électroniques hors cote où les exigences de divulgation sont faibles, voire minimalistes.

Comment est-ce que ces marchés hors cote sont structurés aux États-Unis? Quelles sont les institutions qui les surveillent? Cela devrait être simple, mais ce ne l'est pas. D'où ce petit voyage au Far-West de la Bourse.

Deux grands carrefours

Il y a deux grands carrefours où les courtiers négocient électroniquement les titres hors cote aux États-Unis. Le premier, de meilleure réputation, est le OTC Bulletin Board ou OTC BB. Plus de 2900 titres s'y négocient.

La plupart des entreprises qui émettent ces titres sont assujetties aux règles de divulgation de la Securities&Exchange Commission (SEC), la commission des valeurs mobilières nationales des États-Unis. Et cela, parce qu'elles comptent plus de 500 actionnaires et que la valeur de leur actif dépasse 10 millions US, les critères de la SEC.

Ces entreprises vont donc dévoiler leurs résultats financiers, leurs transactions d'initiés et toute information importante susceptible d'influencer l'avenir de l'entreprise.

L'autre grand carrefour est animé par la société Pink OTC Markets.

Ce carrefour se subdivise en trois segments, selon le degré d'informations que les entreprises consentent à dévoiler. Sur le marché le plus transparent, appelé «Quality-Controlled Marketplace», 150 titres s'échangent. Sur le deuxième marché, moins réglementé, appelé «US Registered&Reporting Marketplace», plus de 3850 titres s'y négocient.

Quant au troisième marché, le plus spéculatif - il est d'ailleurs appelé «Spéculative Trading Marketplace» -, 5870 titres y font la pluie et le beau temps. On les appelle les Pink Sheets.

Les entreprises derrière ces titres ne sont même pas tenues de dévoiler leurs résultats! C'est ce qui explique qu'on n'ait plus aucune information sur Millenia Hope depuis plus d'un an, mais que son titre soit toujours aussi hyperactif en Bourse.

Imaginez un instant acheter l'action d'une entreprise dont vous n'avez aucune idée si elle fait des profits, ou même des revenus. Bienvenue chez les Pink Sheets, qui tirent leur nom de la couleur du papier sur lequel on imprimait le cours de ces actions dans le passé. En fait, ces titres ont maintenant si mauvaise réputation que Pink OTC Markets veut changer son nom pour OTC Markets Group. C'est tout dire!

Les Pink Sheets sont la bête noire des autorités canadiennes, parce que des entrepreneurs un peu trop entreprenants s'en servent pour duper des investisseurs canadiens en manipulant leurs cours boursiers. «C'est un gros, gros problème», note Sylvain Théberge, porte-parole de l'AMF.

La Colombie-Britannique agit

C'est en Colombie-Britannique qu'on a surtout observé ces stratagèmes, au milieu des années 2000. Mais la province a contre-attaqué en 2007.

Dès qu'une entreprise a des activités dans la province, elle doit se conformer à la réglementation, plus stricte, de la Colombie-Britannique (en devenant un émetteur assujetti, dans le jargon).

La Colombie-Britannique a si bien réussi que le problème s'est déplacé vers l'est... C'est ce qui expliquerait qu'on trouve plus d'entreprises québécoises qui se négocient sur le marché des Pink Sheets, selon Sylvain Théberge.

Le marché des Pink Sheets n'est pas laissé à lui-même pour autant. Il est réglementé, comme l'ensemble des marchés hors cote, par la Financial Industry Regulatory Authority (FINRA). Cet organisme d'autorégulation établi à Washington supervise tous les intermédiaires qui négocient des titres sur ces marchés.

La FINRA a été sévèrement critiquée en 2008 pour ne pas avoir détecté les fraudes commises par Bernard Madoff ou Allen Stanford, leurs courtiers étant enregistrés auprès de la FINLA. Dans la foulée de ces scandales, la FINRA s'est réorganisée et vient de créer une unité spéciale dédiée à la surveillance des marchés et à la détection de la fraude. Avec l'aide de logiciels sophistiqués et de tuyaux de dénonciateurs, 135 experts cherchent à détecter les transactions d'initiés et les fausses prétentions visant à propulser un titre en orbite, explique Cameron Funkhouser, premier vice-président de la FINRA et chef de cette unité.

La FINRA a-t-elle détecté des activités de négociation anormales autour de Millenia Hope ou de Global Biotech? Cameron Funkhouser refuse de commenter, conformément à la politique de la FINRA. Même silence à la SEC, à qui les dossiers des entreprises suspectes sont refilés pour enquête. Quoi qu'il en soit, ces organismes tentent de faire appliquer une réglementation américaine qui, dans le cas des Pink Sheets, est plus que relâchée.

Il y a une question plus fondamentale. Comment se fait-il que des entreprises aussi petites et boiteuses peuvent vendre des actions à un public investisseur pas toujours averti? Pas d'employés, pas de produit et même pas de ligne téléphonique qui fonctionne: Come on down! au marché OTC.

Le problème de ce marché américain - qui est malheureusement le nôtre -, il est là.