En visite officielle au Japon dans le cadre du sommet de la Coopération économique Asie-Pacifique (APEC), le premier ministre Stephen Harper a entrepris des négociations avec son homologue japonais en vue de signer prochainement un accord de libre-échange entre les deux pays.

C'est ce que nous a appris en exclusivité mon collègue Hugo de Grandpré, qui couvre le sommet pour La Presse.

Même si le volume des échanges canado-japonais ne représente que 3% du commerce international du Canada, il ne faut pas sous-estimer l'importance de cette nouvelle.

Le Canada a déjà signé une demi-douzaine d'accords bilatéraux de libre-échange. Le plus connu, de très loin, est le traité avec les États-Unis, en 1988, élargi au Mexique quelques années plus tard. Mais il y en a d'autres, notamment avec le Chili, le Costa Rica, Israël, la Colombie. Ces traités ont permis de propulser les échanges à des niveaux sans précédent. Lors de la signature du traité avec le Chili, en 1997, le volume du commerce entre les deux pays se chiffrait à 700 millions de dollars; dix ans plus tard, il dépassait les 2,5 milliards. Si nous n'entendons pratiquement jamais parler de ces traités, c'est parce que leur impact demeure relativement marginal: 2,5 milliards, tel est le volume du commerce canado-américain... en 30 heures!

Les négociations entreprises à Doha au début des années 2000 devaient, en principe, permettre d'accélérer les échanges partout dans le monde en favorisant de vastes accords internationaux. Pour toutes sortes de raisons (mais principalement à cause des profonds désaccords sur l'épineuse question des subventions agricoles), le projet a dérapé. Le cycle de Doha est au point mort depuis quatre ans.

Entre-temps, la plupart des grandes puissances commerciales se sont mises à rechercher des accords bilatéraux. C'est exactement ce que fait le Canada avec le Japon, mais aussi avec l'Inde et l'Union européenne. On ne parle plus ici du Chili ou du Costa Rica, mais d'acteurs de première importance.

Si les négociations avec l'Europe réussissent, le Canada sera le seul pays industrialisé à avoir un libre accès à la fois aux marchés américain et européen, les deux marchés les plus importants de la planète. Exprimé en parité de pouvoir d'achat, le Japon détient une quatrième place (après la Chine). Quant à l'Inde, elle arrive encore assez loin derrière, mais connaît une croissance extrêmement rapide, et le pays n'ambitionne rien de moins que de devenir la troisième économie mondiale d'ici quelques décennies.

Autrement dit, le Canada est en train de se tailler une place de choix sur les grands marchés d'exportation.

Il était temps.

Depuis la signature du traité de libre-échange avec les États-Unis, les exportateurs canadiens se sont littéralement rués à l'assaut du marché américain. En 1987, année précédant l'entrée en vigueur de l'accord, les exportations canadiennes aux États-Unis atteignaient 100 milliards; en 2008, elles avaient bondi à 370 milliards. Même en tenant compte de l'inflation, la poussée est prodigieuse.

Or, ce brillant succès comporte en envers de la médaille. Le Canada est devenu de plus en plus dépendant des États-Unis. Lorsque les Américains ont été frappés de plein fouet par la crise que l'on sait, ils ont évidemment ralenti leurs achats.

Résultat: les exportations canadiennes se sont effondrées. Nous venons de voir qu'elles atteignaient 370 milliards en 2008; l'année suivante, elles ne s'élevaient plus qu'à 271 milliards, une dégringolade de 27%. Pour une des rares fois de son histoire, le Canada a subi un déficit commercial. Mais il a été, si on peut dire, chanceux dans sa malchance. L'économie canadienne a bien supporté le choc parce que les consommateurs canadiens ont pris la relève des clients américains. Rien ne garantit qu'un pareil scénario se répétera à l'avenir.

Historiquement, le Canada a toujours cherché à réduire sa dépendance envers les États-Unis. Ce n'est pas facile. Les États-Unis sont les premiers clients, les premiers fournisseurs, les premiers investisseurs, les premiers visiteurs (et aussi la première destination touristique) du Canada. À elle seule, l'économie d'un État comme la Californie est plus importante que celle du Canada.

Mais le monde change. L'Europe, l'Inde et surtout le Japon, qui sont loin d'être exempts de vieux réflexes protectionnistes, sentent maintenant le besoin d'élargir leurs marchés d'exportation; mais, pour cela, ils doivent aussi ouvrir leurs propres marchés. Après les États-Unis, les principaux partenaires commerciaux du Canada sont le Royaume-Uni, la Chine, le Japon et le Mexique. Or, depuis 2005, le volume du commerce entre le Canada et ces quatre pays est passé de 96 à 113 milliards, mais ce montant ne représente que 16% des échanges commerciaux du Canada. C'est dire s'il y a encore de la place!