Le 4 février 2010, l'Autorité des marchés financiers (AMF) donnait finalement le feu vert à la privatisation de Raymor Industries, une petite société inscrite à Bourse de croissance de Toronto qui avait fait l'objet d'une restructuration sous la protection de la Loi sur les faillite. L'AMF acquiesçait ainsi aux deux demandes des administrateurs de Raymor, dont l'une visait l'obtention d'une dispense concernant l'approbation des porteurs minoritaires et l'autre, l'obtention d'une levée partielle des ordonnances d'interdiction d'opérations sur valeurs.

Cette décision de l'AMF mettait pratiquement fin aux espoirs des 8000 actionnaires minoritaires, qui voyaient ainsi leurs chances de récupérer éventuellement une partie de leurs investissements de 30 millions de dollars... partir carrément en fumée. Raymor se définit comme un chef de file dans le développement de haute technologie pour la production de nanotubes de carbone monoparois, de nanomatériaux et autres matériaux avancés pour des applications à haute valeur ajoutée.

Les heureux bénéficiaires de la décision de l'AMF sont évidemment les trois acquéreurs de Raymor, soit Georges Durst (administrateur au sein du conseil d'administration de Raymor), Rolland Veilleux (président du conseil et chef de la direction de Raymor) et Mario Véronneau (associé de la firme KPMG, le syndic de la restructuration de Raymor).

Remarquez que le dossier n'est pas entièrement clos puisque l'ancien PDG déchu de Raymor, Stéphane Robert, et le représentant des «anciens» actionnaires minoritaires, Jacques Forest, n'ont pas encore lâché prise. À leur instigation, le cabinet d'avocats O'Brien a déposé une requête en révision de la décision de l'AMF qui a fait l'objet d'une audition, le 28 avril dernier, auprès du Bureau de décision et de révision en valeurs mobilières (BDRVM), lequel organisme est chargé de réviser les décisions contestées de l'AMF.

Bien que cette requête ne vise qu'à obtenir la permission du BDRVM d'aller en audition sur le fond du dossier Raymor, imaginez-vous que ce tribunal administratif n'a pas encore rendu sa décision et ce après plus de six mois d'attente.

C'est à n'y rien comprendre. En principe, l'Autorité des marchés financiers (AMF) a notamment pour rôle de protéger les actionnaires en s'assurant que les hauts dirigeants des compagnies inscrites en Bourse respectent les dispositions légales de la Loi sur les valeurs mobilières.

Comment l'AMF a-t-elle pu permettre la privatisation de Raymor Industries sans faire au préalable la lumière sur les nombreux cris d'alarme lancés par des actionnaires tout au long du processus de restructuration de l'entreprise? Comment l'AMF a-t-elle pu donner le feu vert sans enquêter sur la situation de conflits d'intérêt dans lesquels baignaient les trois acquéreurs de l'entreprise nouvellement privatisée?

Et comment peut-on justifier qu'après plus six mois d'attente, le BDRVM n'ait pas encore rendue sa décision au sujet de la requête des «anciens» actionnaires visant à réviser les décisions rendues par l'AMF dans le dossier de Raymor?

Voici une panoplie de faits majeurs qui n'ont manifestement pas eu d'impact sur la décision de l'AMF de donner son vert à la privatisation de Raymor et ce, sans que les actionnaires minoritaires n'aient la chance de se prononcer en assemblée.

- Avec la participation de l'ancien PDG Stéphane Robert, le groupe contestataire (Jacques Forest et Als) des actionnaires minoritaires avait déposé une offre de 9,5 millions, soit nettement supérieure à celle de 6,5 millions des trois acquéreurs (les deux membres du conseil d'administration Georges Durst et Rolland Veilleux, et Mario Véronneau, de KPMG, le syndic). Cette offre de 9,5 millions a été rejetée par le conseil d'administration de Raymor, et ce au profit de Durst-Veilleux-Véronneau.

- Aucune assemblée des actionnaires n'a eu lieu entre le jour où l'AMF a donné le feu vert à la privatisation (soit le 4 février dernier) et le moment où Raymor s'est placée au début de 2009 sous la protection de la loi sur les faillites et que le conseil d'administration (CA) a été modifié (sans avoir été entériné par la tenue d'une assemblée des actionnaires).

- Au sein de ce conseil d'administration modifié de Raymor, on retrouve cinq membres, dont trois étaient en conflits d'intérêt par rapport à la transaction de privatisation approuvée par le CA.

En effet, alors que MM. Durst et Veilleux faisaient partie des acheteurs, Normand Goupil faisait partie des détenteurs de dette de Raymor. Cette situation de conflits d'intérêt est rapportée telle quelle dans le bulletin de l'AMF.

- On rapporte également dans ledit bulletin de l'AMF que: «Le comité indépendant (qui a recommandé la vente de Raymor aux trois acquéreurs, à la suite d'un avis d'une firme d'évaluation) s'est assuré de l'indépendance du syndic (KPMG), nonobstant le fait que M. Véronneau fasse parti des acheteurs et soit associé chez KPMG.»

- Une précision importante: le «comité indépendant» de Raymor est «formé d'un seul administrateur indépendant, soit Alfredo Perez», rapporte-t-on dans le bulletin de l'AMF.

-Comme trois membres du CA se sont abstenus de voter en raison de leur situation de conflits d'intérêt, l'offre de 6,5 millions du trio Durst-Veilleux-Véronneau a approuvée par seulement deux administrateurs, soit MM. Perez et Baril.

- Et ces deux mêmes administrateurs ont par ailleurs déterminé que «l'offre de Jacques Forest (de 9,5 millions) n'était pas dans le meilleur intérêt du demandeur (Raymor) et ils l'ont par conséquent refusée», indique-t-on dans le bulletin de l'AMF.

Outre ces faits, une panoplie d'accusations troublantes a été lancée par le groupe des opposants à la privatisation de Raymor. Manifestement, l'AMF a fait fi de ces accusations et a finalement acceptée l'argumentation des administrateurs de Raymor en les dispensant de soumettre ladite offre de privatisation du trio Durst-Veilleux-Véronneau aux actionnaires minoritaires.

Pas facile à suivre l'AMF.