Il y a six semaines, une pluie torrentielle accompagnée de fortes bourrasques s'est abattue soudainement sur Port-au-Prince. Le déluge n'a duré que 30 petites minutes. Assez pour tuer cinq personnes, causer des blessures à des dizaines d'autres et arracher des milliers de tentes dans les camps de sinistrés de la capitale.

Si une pluie d'à peine une demi-heure a pu faire autant de dégâts, imaginez ce qui attend Haïti à l'approche d'une véritable tempête tropicale, potentiellement un ouragan, qui devait commencer à déverser ses trombes d'eau cette nuit, et continuer à s'acharner sur ce pays infortuné pendant toute la journée d'aujourd'hui.

Les organisations humanitaires poursuivaient une véritable course contre la montre, hier après-midi, alors que le ciel déjà entièrement couvert laissait tomber une pluie fine sur Port-au-Prince.

La Croix-Rouge canadienne, par exemple, achevait de monter ses derniers abris solides, conçus pour résister aux intempéries. Depuis le tremblement de terre du 12 janvier dernier, près de 2000 de ces abris ont été érigés, notamment à Léogâne, ville qui a été presque rayée de la carte par le séisme. Chacun de ces abris peut abriter une famille. Deux abris de plus, c'est deux familles de moins sous les tentes...

Des équipes de CARE-Canada parcouraient les camps de la capitale pour diffuser des informations sur les précautions à prendre pour traverser la tempête. Idéalement: trouver des amis ou de la famille capables de les accueillir dans une vraie maison, pendant quelques jours.

De son côté, OXFAM stockait de l'eau potable et quadrillait les camps pour rappeler les règles d'hygiène à prendre quand les eaux contaminées reflueront dans les rues de la ville. «Dans les camps, l'atmosphère est chargée», a constaté Julie Schindall, porte-parole de l'organisme.

D'une certaine manière, Haïti a de la chance: Tomas survient à la toute fin de la saison des cyclones. Et ça fait des mois que tous se préparent pour cette éventualité. Les ONG présentes depuis le 12 janvier ont déployé le maximum d'efforts pour minimiser les dégâts. Médecins sans frontières, par exemple, a eu le temps d'évacuer son hôpital gonflable, a pu loger tous ses patients dans ses installations à travers le pays, et est prête à accueillir les victimes de la tempête.

Mais en même temps, il faut avoir marché dans les rues de Port-au-Prince pour comprendre à quel point cette ville est vulnérable face aux rafales qui lui foncent dessus.

La capitale est bâtie sur des collines. Les égouts à ciel ouvert sont

constamment bouchés à cause des détritus. Et l'eau qui déborde descend vers le bas de la ville. De l'autre côté, il y a la mer. Et la menace d'une grande vague balayant les quartiers riverains.

«Historiquement, l'eau fait plus de dommages en Haïti que le vent», note Julie Schindall. «Ce que nous craignons le plus, ce sont les noyades», précise Marie-Ève Bertrand, de CARE.

À cette fragilité fondamentale s'ajoute une couche supplémentaire: celle du séisme du 12 janvier. Dix mois après cette catastrophe, 1,3 million de personnes vivent toujours dans des abris de fortune. En temps normal, ils auraient pu se réfugier temporairement dans des écoles ou d'autres bâtiments publics. Mais il n'y a pas de temps normal en Haïti. Ces infrastructures ont été détruites.

La situation affecte tout le monde, y compris les ONG. Plusieurs employés de la Croix-Rouge, par exemple, sont installés... dans des tentes. Des tentes solides et bien arrimées. Mais des tentes quand même.

A-t-on déjà vu une telle menace peser sur autant de gens aussi vulnérables? «Je ne dirais pas que la situation est sans précédent, mais elle est certainement très, très inhabituelle», dit Stephanie Bunker, du Bureau de coordination des affaires humanitaires de l'ONU.

«Les gens ont perdu leur maison, le pays a connu le choléra, et maintenant, ils attendent que le ciel leur tombe sur la tête», se désolait Marie-Ève Bertrand.

Au moment d'écrire ces lignes, la force de frappe de Tomas restait incertaine. Haïti se préparait au pire scénario, mais pouvait encore espérer y échapper. Ne restait plus qu'à se croiser les doigts...