Une fois, je sortais de La Presse. J'étais à vélo. C'était avant que Montréal devienne la capitale mondiale du vélo. On n'était pas nombreux. Bref, je roulais rue Saint-Antoine, vers l'est. Une voiture m'a heurté par derrière, j'ai revolé par-dessus le guidon. Quand l'action s'est terminée, j'avais une main sur le bumper du char comme si je l'avais arrêté avec ma main à la dernière seconde. Je me suis retrouvé à Saint-Luc, en état de choc, comme on dit, mais finalement rien d'autre.



Le chauffeur de la voiture est venu prendre de mes nouvelles dans la soirée. Il m'a raconté comment c'était arrivé: Je vous ai vu à la dernière minute, je devais être distrait. Y avait rien et, tout d'un coup, y avait un vélo devant moi et j'allais rentrer dedans. J'ai paniqué. J'ai accroché l'accélérateur avant de freiner à mort.



Les accidents arrivent.

Sur la 112, au mois de mai, le chauffeur a-t-il eu un moment de distraction? A-t-il paniqué en voyant qu'il fonçait sur les cyclistes? A-t-il accroché l'accélérateur?

Pourquoi ne s'explique-t-il pas? La distraction n'est pas un crime. Une fausse manoeuvre non plus.

Je suis le premier à dire que les accidents arrivent, que celui-là a fait assez de victimes comme ça, pas la peine d'en ajouter une autre. Je l'ai même écrit. Qu'on lui fiche donc la paix. Il aura bien assez de vivre avec ça.

Je n'ai pas changé d'avis. C'est le secret qui me fatigue. Pourquoi laisser les rumeurs les plus farfelues empoisonner l'atmosphère? Pourquoi ce sentiment qu'on ne saura jamais ce qui s'est passé sur la 112? Plus précisément le sentiment que quelqu'un a tout «arrangé» dans les minutes qui ont suivi l'accident. Un: Tu ne parles pas aux journaux. Deux, pour les enquêteurs et le coroner, tu t'en tiens à la version qu'on vient de dire, O.K.?

Pourquoi cette impression que le chauffeur de la camionnette est «protégé», conseillé, sous influence? Fais comme on t'a dit et ça devrait bien aller. Les amis des victimes vont s'agiter un peu, les médias feront une vaguelette ou deux, et tout le monde va vite oublier.

Les accidents arrivent. Les scénarios se fabriquent.

JUBILATION - J'ai d'abord préféré la première chanson, Corneille, ma noire. Ensuite, ce fut la troisième, que chante Pierre Flynn, Ma rose éternité. Puis Vincent Vallières, Camarade, tu passes invisible dans la foule. Il faut dire que j'aime Vincent Vallières, comme d'ailleurs Martin Léon et Louis-Jean Cormier, même quand ils ne chantent pas Gaston Miron.

Je n'ai jamais pédalé aussi lentement que mardi, exprès pour étirer cette journée d'été inespérée. Exprès pour réécouter, par des routes qui n'arrêtaient pas de plonger dans des replis de forêt aux arbres tout nus, le volume 2 de Douze hommes rapaillés.

À vélo, la poésie ajoute la jubilation au paysage. Avec, ce jour-là, une fixation sur Compagnon des Amériques, que chante Séguin. Québec ma terre amère, salut à toi territoire de ma poésie.

J'avais une amie qui lisait à vélo. Elle n'est pas morte, mais elle n'est plus mon amie, c'est pour ça que je dis «j'avais». Elle avait installé une espèce de lutrin sur le guidon. Elle a lu tout Schopenhauer en traversant la Saskatchewan. Schopenhauer, je suis pas capable à pied, alors à vélo... Miron est plus chantant que Schopenhauer, mais là, quand même, faudrait arrêter. Peut-être changer de poète. Pourquoi pas Jacques Brault? Puisqu'il faut tomber/Puisqu'il faut/que ce soit du bon côté/Celui du sombre...

Mardi, à la fin de la journée, au lieu de me dire comme d'habitude que j'avais roulé 60 ou 8 km, mon odomètre m'a laissé un message: écris-moi un poème.

Mon cul, j'ai pensé. Une chronique, ça fera pareil.

DANS LE NEZ - Je lis parfois les chroniqueurs de vin. Pas pour les vins, j'en bois peu. J'aime les rouges qui tachent, les cahors, les madiran... Enfin, «j'aime», c'est beaucoup dire; disons que ceux-là m'indiffèrent un peu moins.

Je lis les chroniqueurs de vin comme je lis mes auteurs de voyage préférés - Bouvier, Lapouge, Bill Bryson, Rolin: pour le dépaysement. Pour des phrases comme: un santo toscan au profil aromatique de noisette, d'hydromel, de figue séchée et de vanille Bourbon. Je ne me moque pas, je m'extasie: toute cette poésie dans le palais!

Bref, l'autre samedi, c'était à propos de cidres de glace que le critique évoquait les épices douces, le sirop d'érable, le caramel au beurre (!!!), la rose séchée, le safran, le scotch, le raisin de Corinthe, le cumin, le gingembre, la camomille, le pastis, le piment fort... déchaîné, il était.

Sauf qu'ensuite, il a fait l'éloge du producteur de cette merveille.

Oups! Il se trouve que je connais ce producteur depuis des années. Je ne connais rien au vin et au cidre, mais pour les hommes, j'ai un assez bon nez. Et me voilà tout à coup avec un affreux doute: notre enthousiaste critique confondrait-il le caramel au beurre et les pastilles pour la toux?

APPEL À TOUS - Vous ai-je dit que j'avais un iPad? Je vous le dis. Ils m'en ont prêté un. Pour voir ce que j'allais faire avec. Je me sens comme une souris de laboratoire à qui on vient de donner un petit parapluie. Bon, j'ai réussi à l'ouvrir. Je vais sur le Net. Je vais lire mes courriels. NHL. NFL. NBA. (En passant, Miami avec LeBron James, Wade et Bosh s'est fait planter par les Celtics en match d'ouverture.) Pis maintenant, je fais quoi, avec mon iPad?

Vous en avez un, vous? Aidez-moi.