Vous savez que le frère André avait une hantise: les communistes. Il en voyait partout. À quelques jours de sa fin, il dira de son bras gagné par la paralysie: «Mon bras est un communiste, il m'en veut, il me fait souffrir le méchant.»

Il y a deux ans encore, les objets religieux vendus à la boutique de l'Oratoire, dont un hideux portrait du frère André, étaient presque tous «made in China». Imaginez si l'âme de notre saint frère devait «souffrir le méchant».

Ce n'est plus le cas. Et cela, grâce à Martine Devron, Française adoratrice du frère André qui s'était scandalisée de ces chinoiseries dans une lettre à laquelle j'avais fait écho. Bref, c'est un peu grâce à moi aussi. Faute d'avoir chassé les marchands du temple, j'en ai chassé les Chinois communistes. Ne me remerciez pas.

Martine est parmi nous, ces jours-ci. Elle est venue me dire bonjour au bureau. On est allés faire un tour à la basilique Notre-Dame, on est allés s'asseoir dans la chapelle, en arrière, où elle m'a refilé en douce son dépliant de thérapeute en médecine énergétique.

Il s'agit, à l'aide d'une antenne dite de Lecher, de détecter le champ vibratoire du patient et de mesurer son rayonnement en énergie-lumière. Un traitement suivra, notamment aux huiles essentielles, à l'acupuncture (sans aiguilles), agrémenté d'une séance de magnétisme qui rétablira les blocages non détectés.

Avant de devenir très grossier, je l'ai emmenée manger un tiramisu à la Luna d'oro, rue Saint-François-Xavier. Le tiramisu a sur moi l'effet apaisant des huiles essentielles en rétablissant les blocages non détectés.

Dimanche, elle sera au Stade. En soirée, elle s'en retournera à Bougival. C'est à côté de Saint-Cloud, dans la banlieue ouest (et chic) de Paris, où, entre deux réunions de prière, elle distribue des biographies du frère André et pratique la médecine énergétique.

Et moi, l'innocent, qui lui disais juste avant d'entrer dans la basilique: comme j'envie votre foi, madame.

LES ESCARGOTS - Parlant de Dieu, ce n'est même pas vrai que je n'y crois pas. Ne pas croire en Dieu supposerait que je me sois au moins posé la question de son existence. Jamais. Pas une fois je ne me suis demandé si Dieu existe.

Pensez à une question idiote: l'escargot est-il daltonien? Pourquoi diable devrais-je m'intéresser au daltonisme des escargots? Pareil pour Dieu.

Pensez à la foi. Tous ces gens qui ne se sont jamais demandé non plus si Dieu existe et qui croient. Pensez maintenant à la non-foi. Voyez bien.

MES CURÉS - L'intégrisme religieux du cardinal Ouellet me fait hurler. Son projet avoué de réévangéliser les écoles m'a mobilisé comme je ne l'avais pas été depuis longtemps. Reste que je pourrais aller prendre un café avec le cardinal Ouellet. Cela fera sourciller que je le dise: intégrité et intégrisme ont la même racine.

Mais je n'aurais nulle envie d'aller prendre ce même café avec le cardinal Turcotte, qu'on a beaucoup vu et entendu ces jours derniers. Il y a quelque chose de doucereux chez cet homme-là qui le fait ressembler à une pâtisserie orientale: le miel qu'il exsude colle aux doigts.

De tous les ensoutanés de ma vie, c'est Valentine que j'ai préférée, une soeur nigériane d'une petite congrégation dont j'oublie le nom. Elle n'avait pas 40 ans, souffrait d'un cancer des os. Le ministère de l'Immigration la tyranisait honteusement - je résume de mémoire une des raisons officielles qu'on lui avait données pour lui refuser son permis de séjour: votre lourde maladie nous coûterait trop cher.

Elle m'a avoué un jour qu'elle n'avait encore jamais rencontré quelqu'un d'aussi dépourvu de spiritualité que moi.

J'aimais son chant. Je l'avais amenée une fois chez moi avec sa soeur, elles avaient chanté tout le long de la route. Sa souffrance donnait envie de la bercer. Elle est retournée mourir chez elle.

Le dernier curé que j'aimais bien n'est plus curé. L'hiver dernier encore, il faisait des miracles tous les jours en multipliant les pains dans la couronne nord de Montréal. Je viens d'apprendre qu'il a défroqué.

Ne me reste plus que Jonathan. Je suis ce séminariste, vous savez? m'a-t-il écrit encore la semaine dernière. Je sais, Jonathan. Tu ne me croiras pas, mais je pense souvent à ce que tu m'avais dit de ta dernière blonde, si fâchée que tu deviennes curé... Ça ressemblait à ce truc que j'ai lu dans Christian Bobin, page 89 dans Ressusciter: Je ne crois plus à l'amour parce que je ne crois qu'à l'amour.

Jonathan souhaitait aller étudier à Rome; il vient d'être affecté à une paroisse de Montréal-Nord. Il me parle de la joie de prêcher. L'homélie, quel magnifique genre littéraire, vous devriez vous y mettre, me dit-il, ce n'est pas si loin de la chronique... il vous suffirait d'une fissure dans votre dure coquille, Dieu a déjà passé par plus étroit.

LES ATHÉES - Cet ami à la campagne, je le connais depuis plus de 30 ans. Plus à gauche que moi, laïc et tout. Je lui parle au moins une fois par semaine, parfois deux ou trois fois. Il me soutenait l'autre midi qu'il me l'avait déjà dit:

Que tu pries tous les matins? Jamais. Tu ne m'as jamais dit ça. Ce n'est pas le genre de truc que j'aurais oublié. Qu'est-ce que tu dis, dans tes prières?

Je demande à Dieu de protéger les miens. Surtout ça.

C'est quand je trouve Dieu chez un athée que je suis le plus près d'y croire.