Gracieuseté de la Fed, surtout, l'argent coule à flots sur les marchés financiers. Au bonheur des grandes entreprises, qui regorgent de liquidités, et des spéculateurs qui font la fête à l'étranger. Mais l'économie américaine attend toujours les bienfaits de cette stratégie.

Alors que les ménages américains ont du mal à trouver du financement, les grandes entreprises empruntent des sommes énormes ces temps-ci. Pourquoi? Parce que l'argent est là et, surtout, ça ne coûte presque rien.

Les DuPont, Microsoft, PepsiCo et autres géants américains ont récemment fait des emprunts de plusieurs milliards de dollars à des taux d'intérêt exceptionnellement bas. Mais, jusqu'ici, peu d'entre elles ont utilisé cet argent pour construire des usines, acheter de la machinerie ou, mieux encore, embaucher des travailleurs.

La raison: un manque de confiance essentiellement. Tout ce beau monde attend que l'économie s'améliore pour mettre leurs sous au travail. Selon l'agence Bloomberg, les entreprises de l'indice S&P 500 sont assises sur 1600 milliards US de liquidités. Une aberration pour les 14,9 millions de travailleurs qui cherchent un travail aux États-Unis dans une économie en panne.

Ce n'est là qu'un des effets pervers de la politique hyper accommodante de la Réserve fédérale (Fed), qui tente ainsi de requinquer la plus grande économie du monde... mais avec peu de résultats palpables jusqu'ici.

La Fed imprime

Faut-il rappeler que les taux d'intérêt de référence aux États-Unis sont proches de zéro depuis plusieurs mois.

Sans oublier que la Fed a activé sa planche à imprimer des billets - les fameuses «mesures d'assouplissement quantitatives», qui ont pour effet d'inonder le marché de liquidités afin de maintenir au plus bas les taux à long terme.

Loin de se décourager, la banque centrale compte récidiver avec une deuxième ronde d'assouplissement quantitatif dès sa prochaine réunion, en novembre.

Or, des experts déplorent que ces mesures soient mal ficelées et ratent la cible visée. Selon Christian Carrillo, stratégiste à la Société Générale, cette surabondance de liquidités «n'est pas recyclée dans l'économie américaine» et, pire, elle «trouve refuge ailleurs».

Des pays en forte croissance, comme l'Inde, le Brésil ou Singapour, sont en effet inondés par un raz-de-marée d'investissements spéculatifs, notamment par l'entremise des transactions croisées sur devises ou carry trades.

Par ces opérations, l'investisseur emprunte dans un pays offrant des bas taux et place son argent dans un pays où les rendements sont élevés. Aux États-Unis, par exemple, le taux directeur oscille entre 0 et 0,25%, un creux historique, alors qu'il atteint 6% en Inde et plus de 10% au Brésil. Pas besoin d'un doctorat en finance pour comprendre que ces transactions, qui déplacent des montagnes d'argent, sont payantes et comportent un minimum de risque.

Distorsions

Du coup, la stratégie de la Fed contribue en plus à couler le dollar américain, qui pâtit contre l'euro, le yen japonais, le dollar canadien et les devises des pays émergents. En découlent plusieurs distorsions, lesquelles ont provoqué la «guerre de devises» dont tout le monde parle ces temps-ci.

«Plus la Fed injecte des liquidités dans le système, plus il y a des contrecoups pour les autres pays sous la forme de flux massifs de capitaux, de bulles spéculatives et de pressions inflationnistes», déplore l'économiste Mohamed A. El-Erian, de la firme américaine Pimco, plus important gestionnaire d'obligations du monde.

Voici un exemple chiffré de ces distorsions: en Inde, les investissements étrangers dans les titres financiers ont atteint un record (7 milliards US) en septembre. Depuis le début de 2010, ces entrées de fonds ont plus que doublé à 29 milliards US, selon le New York Times.

Ce torrent de fric a aussi contribué à la poussée de 22% de la Bourse de Bombay (indice Sensex) depuis un an.

L'Institut international de la finance, un regroupement de courtiers, prédit que 825 milliards US seront injectés dans les marchés émergents cette année, contre 581 milliards US en 2009. En cause: les fonds abondants et peu coûteux des pays riches.

C'est sans compter que la chute du billet vert alimente la flambée des prix des ressources naturelles, dont les céréales, ce qui risque de provoquer une autre crise alimentaire comme en 2008, préviennent dans un billet économique Hossein Askari et Noureddine Krichene, professeurs aux Universités George Washington et UCLA respectivement.

En somme, la Fed joue un jeu risqué en renouant avec ses politiques actuelles.

Les pressions de Washington et de Wall Street pour relancer l'économie américaine sont énormes, on le sait. Mais, de l'avis de certains experts, la banque centrale doit ajuster le tir: il faut des mesures mieux ciblées dont les effets aideront les Américains... et non des spéculateurs qui font la fête à Hong-Kong ou à Bombay.