Il n'y a probablement pas grand-chose qui énerve plus Glenn Chamandy que de voir un de ses principaux coûts de production exploser sans que son entreprise, Gildan, puisse y faire quoi que ce soit.

C'est ce qui arrive avec le coton. Depuis un an, son prix a presque doublé. Il a atteint 1,15$US la livre hier (contrat pour livraison en décembre). Selon l'agence Bloomberg, c'est un sommet en 140 ans, soit depuis que le coton est échangé à New York!

Or, le coton représente 35% des coûts de ce fabricant de t-shirts et de chaussettes...

Glenn Chamandy aime raconter que, lorsqu'il a commencé à travailler pour l'entreprise familiale, un fabricant de vêtements pour enfants appelé Harley, à sa première année de cégep, son grand-père lui a légué sa philosophie de gestion.

Alors qu'il se promenait dans l'usine, Joseph Chamandy a croisé un de ses employés. Seras-tu capable de livrer la commande à temps avec tes quatre hommes? lui a demandé Joe. Oui, lui a répondu Tony. Seras-tu capable de le faire si vous étiez seulement trois? On y arrivera, a assuré Tony.

OK, alors tu peux congédier un de tes hommes! lui a répondu Joe du tac au tac. «Mon grand-père m'a ensuite dit: en affaires, tu ne fais pas d'argent, tu en économises», raconte Glenn Chamandy.

Toute sa vie, le président de Gildan a adhéré à cette maxime. En délocalisant la production dans les Caraïbes, en investissant dans une machinerie de pointe, en multipliant les débouchés pour obtenir des économies d'échelle, Gildan a réussi ce qui semblait impossible. L'entreprise montréalaise vend son t-shirt au prix de 1,65$. Avec un bon profit.

«Comme mon client peut imprimer le nom d'un band sur ce t-shirt et le revendre 30$ dans un concert, disons qu'il reste un espace significatif pour augmenter les prix», a noté Glenn Chamandy hier, en marge d'un discours prononcé devant le Cercle finance et placement du Québec. Gildan vient de relever ses prix de 10%. Et, s'il le faut, d'autres hausses suivront.

Il n'empêche que le prix du coton chiffonne la communauté financière. Avec la météo qui a fait des siennes au Pakistan et en Chine, avec l'Inde qui limite ses exportations et avec des manufacturiers qui achètent en panique, les analystes s'inquiètent de voir le prix du coton monter en flèche.

Les achats de Gildan sont couverts en totalité jusqu'en mars 2011. Et cela, à un prix moyen de 78 cents la livre.

Ce qui permet de relativiser les choses, c'est que tous les concurrents de Gildan - Fruit of the Loom, Hanes, Russell, Anvil - sont également touchés par cette flambée. Et que Gildan exerce un contrôle maniaque sur ses autres coûts. D'où son succès aux États-Unis, où Gildan détient 64% du marché du t-shirt à imprimer.

Dans sa conquête du monde, cette entreprise avec des revenus de plus de 1 milliard US et un effectif de 28 000 employés vient d'ouvrir un nouveau front. Au printemps, Gildan a acquis une usine au Bangladesh, en banlieue de la capitale, Dacca.

C'est de cette base que Gildan compte pénétrer l'Asie, dont la Chine, coeur manufacturier de la planète. Pour Glenn Chamandy, le Bangladesh offre plusieurs avantages. Des exportations qui entrent en franchise de douane en Chine, en Australie et au Japon. Une électricité peu coûteuse grâce à l'abondance du gaz naturel. Et une main-d'oeuvre bon marché...

Si bon marché, en fait, que les travailleurs du textile se révoltent depuis juin pour tripler le salaire minimum. Même si le gouvernement s'est déjà engagé à doubler leur salaire, les manifs et confrontations avec la police se poursuivent.

Gildan, dont les employés, mieux payés, n'ont pas manifesté, reviendra-t-elle sur son choix? Ou l'entreprise continuera-t-elle son expansion au Bangladesh? «On apprivoise encore le pays et on n'a pas encore assez d'expérience pour se lancer dans un autre investissement», dit Glenn Chamandy.

C'est ce qu'on appelle avoir le sens du timing.