La chose a probablement échappé aux médias anglo-canadiens qui ont multiplié les reportages larmoyants sur le départ de Michaëlle Jean, ces derniers jours, mais celle qui avait fait de la réconciliation des deux solitudes l'emblème de son règne quitte Rideau Hall au beau milieu, justement, d'une nouvelle controverse entre les deux peuples fondateurs de ce beau grand pays.

Quelle amère ironie.

Mme Jean est entrée en fonction, il y a cinq ans, sous l'épais brouillard d'une controverse à propos de son passé de sympathisante indépendantiste. Elle avait alors fait le pari de retourner la situation en promettant d'oeuvrer, à titre de gouverneure générale, à briser le mur invisible entre le Québec et le reste du Canada.

À lire les thèses méprisantes du magasine Maclean's à propos des moeurs politiques au Québec, il semble que les deux solitudes aient encore bien du mal à se comprendre, voire à se parler.

Évidemment, on ne peut tout de même pas reprocher à Michaëlle Jean d'avoir échoué dans sa mission, mais il faut bien reconnaître que cette mission était impossible.

«Je dirais qu'il est fini, le temps des deux solitudes qui a trop longtemps défini notre approche du pays», avait-elle dit solennellement le jour de son installation à Ottawa, en septembre 2005.

Eh bien! non, ce temps n'est pas fini, apparemment, et ce, des deux côtés des solitudes.

On a beaucoup parlé cette semaine de la couverture du Maclean's sur le Québec, mais note-t-on parfois aussi, au passage, les petites manifestations de mépris ordinaire de certains Québécois à l'endroit du ROC?

Moi qui suis un heureux électeur de la circonscription d'Ahuntsic, je suis régulièrement gratifié de la prose de ma députée fédérale, la bloquiste Maria Mourani. Elle ne rate jamais une occasion d'envoyer, aux frais des contribuables, sa propagande sous forme de bulletin d'information. (Je signale au passage que les conservateurs se font joyeusement planter lorsqu'ils envoient leurs dépliants dans les foyers du Québec, mais que le Bloc, pourtant le premier à déchirer sa chemise, ne se prive pas non plus.)

Que Mme Mourani soit souverainiste et qu'elle milite en ce sens, ce n'est une surprise pour personne. On ne pourra l'accuser d'avoir trompé les électeurs. Mais pourrait-elle préserver nos boîtes à lettres de ses commentaires racistes à l'endroit des Canadiens des autres provinces.

Raciste, comme ce passage trouvé dans un bulletin récent: «Face au mépris collectif permanent que nous manifeste la majorité des Canadiens qui rêvent d'un Canada qui évolue sans tenir compte de nos opinions et de nos valeurs, l'indépendance du Québec s'impose comme la seule option possible!»

Le «mépris collectif permanent que nous manifeste la majorité des Canadiens». Wow! Ils se lèvent même la nuit pour nous détester, je suppose. On n'est pas loin ici des grossièretés du Maclean's.

Pas plus nuancée, la réaction du chef bloquiste Gilles Duceppe, qui s'appuie sur les articles du Maclean's pour décréter que le Canada est xénophobe. Tout le Canada, tous les Canadiens nous haïssent!

Vraiment, Michaëlle Jean s'était mis tout un poids sur les épaules en voulant rapprocher les deux solitudes.

Avant même d'entrer officiellement en poste, elle s'était d'ailleurs retrouvée dans l'oeil d'une tempête québéco-canadienne lorsqu'on avait retrouvé un extrait d'un film de son mari (Jean-Daniel Lafond, La manière nègre, 1991) dans lequel elle disait, entourée de militants souverainistes, «l'indépendance, ça ne se donne pas, ça se prend».

La réaction avait été aussi vive que violente: dans le reste du Canada, plusieurs s'étaient opposés à la nomination de Mme Jean et, au Québec, bien des souverainistes avaient crié à la trahison.

L'ancien premier ministre Paul Martin a affirmé à ma collègue Tamara Alteresco, de Radio-Canada, qu'il savait que la nomination de Michaëlle Jean susciterait la controverse (vous retrouverez ce reportage sur le site de Radio-Canada, émission Désautels de jeudi).

«Les purs et durs au Québec ne voulaient pas la voir là. Je savais fort bien qu'elle leur ferait peur (en exposant sa vision du pays)», explique M. Martin.

Force est d'admettre que M. Martin fait un peu de révisionnisme, ici, qu'il se donne le beau rôle et joue, a posteriori, les visionnaires.

La réalité, c'est que le bureau de Paul Martin a cherché pendant des mois un (ou une) successeur à Adrienne Clarkson. Quelques noms circulaient, dont ceux des astronautes Julie Payette et Marc Garneau, mais Paul Martin, fidèle à lui-même, n'arrivait pas à se décider.

C'est alors qu'Hélène Scherrer, ancienne ministre libérale devenue conseillère de Paul Martin pour le Québec, a vu Michaëlle Jean à la télé et a eu une révélation. C'est elle qu'il nous faut, avait conclu Mme Scherrer: une femme jeune et énergique, télégénique (ça va de soi!) et immigrée. Il faut se rappeler que le Bloc québécois venait de ravir la circonscription de Saint-Lambert aux libéraux avec son candidat Maka Kotto, une percée souverainiste importante auprès des communautés culturelles.

Contrairement à ce que laisse entendre Paul Martin, il n'a jamais vu venir la suite. Son entourage n'était pas au courant des accointances passées de Mme Jean. Lorsque l'affaire a éclaté, Hélène Scherrer a dû se rendre en catastrophe à la Boîte noire, rue Laurier, à Outremont, pour louer La manière nègre!

Un conseiller de Paul Martin m'avait même révélé à l'époque que, si les prises de position passées de Michaëlle Jean avait été connue, elle n'aurait jamais mis les pieds à Rideau Hall.

Maclean's et... moi

Le magazine Maclean's a publié cette semaine une lettre pour justifier son reportage sur le Québec, lettre qui note au passage que j'ai écrit que «je ne vois rien d'inexact ni même d'exagéré» (dans les faits rapportés).

Je ne prendrai pas un abonnement au club des mal cités, mais je me dois de préciser, for the record, comme on dit à Toronto, que je ne parlais que des événements historiques et que j'ai aussi écrit que les conclusions du magazine sont des âneries.