De tous les pays industrialisés, le Canada figure parmi ceux qui ont le mieux traversé la crise économique et financière.

Certes, le dernier budget du ministre Jim Flaherty faisait état d'un déficit record de 54 milliards de dollars, mais ce chiffre est artificiel; la moitié de ce déficit s'effacera de lui-même lorsque prendront fin les crédits votés pour faire face à la récession. Et la croissance économique plus robuste que prévu contribue aussi à résorber rapidement le déficit. Hier, le ministère des Finances publiait les résultats du mois de juillet: déficit de seulement 500 millions en juillet 2010, comparativement à 5,8 milliards en juillet 2009. Pour les quatre premiers mois de l'exercice, le déficit atteint 7,7 milliards cette année, comparativement à 18,3 milliards l'an dernier. Ces chiffres sont très encourageants.

Le marché du travail a évidemment été amoché, mais beaucoup moins que dans la plupart des autres pays industrialisés. Chose impensable il y a quelques années, le taux de chômage aux États-Unis est maintenant supérieur à celui du Canada, il dépasse même celui du Québec.

Comment cela est-il possible?

C'est grâce à vous, chers lecteurs, et à des millions d'autres consommateurs comme vous.

Les dépenses des consommateurs, en particulier dans le secteur de l'immobilier, portent l'économie canadienne à bout de bras depuis des années. Ces dépenses, à elles seules, représentent plus des deux tiers de l'économie.

Or, cette semaine, une enquête de TNS Canada, maison spécialisée dans ce genre de recherche, nous a appris que le niveau de confiance des ménages a continué de baisser en septembre, ce qui confirme la tendance des derniers mois.

Une baisse de l'indice de confiance se traduit inévitablement par une baisse des ventes au détail, une stagnation ou même un recul de l'activité immobilière et, au bout du compte, un ralentissement économique.

Peut-on en conclure pour autant que l'économie canadienne, à son tour, se dirige vers les mêmes misères qu'aux États-Unis?

Les commentaires des experts, en tout cas, ne sont pas rassurants. Michael Antecol, vice-président de TNS Canada, annonce des «jours difficiles». Derek Holt, économiste de la Banque Scotia, croit que la bonne performance de l'économie canadienne est «une histoire qui achève». Brrrrrrrrrr!

Il est encore beaucoup trop tôt pour les prévisions sombres, mais le fait est que la baisse de l'indice de confiance des ménages arrive à un bien mauvais moment. Surtout, cette mauvaise nouvelle vient coiffer deux autres situations foncièrement dangereuses: la détérioration de la balance commerciale et la détérioration des finances publiques des provinces.

Grâce à la taille, à la proximité et à l'accessibilité du marché américain, le Canada a toujours dégagé d'énormes surplus commerciaux. En 2008, l'excédent commercial canadien avec les États-Unis a atteint 89 milliards; l'an dernier, il est tombé à 34 milliards. En une seule année, c'est plus de 50 milliards qui se sont évaporés.

Par ailleurs, le Canada a toujours été déficitaire dans ses échanges avec ses partenaires autres que les États-Unis. Seule l'énormité du surplus avec les Américains lui permettait de terminer l'année avec un fort excédent. Ce n'est plus vrai. En 2009, le surplus de 34 milliards a été insuffisant pour combler les 39 milliards de déficit observés avec les autres pays. Ainsi, le Canada s'est retrouvé, pour une rarissime fois de son histoire, avec un déficit commercial de 5 milliards.

Si l'économie canadienne a bien supporté cet effondrement, c'est justement à cause de l'économie intérieure. Autrement dit, les consommateurs canadiens ont pris la relève des clients américains, ce qui a permis à l'économie de continuer à tourner.

Tout indique par ailleurs que les États-Unis ne sont pas sortis du bois. Le marché américain risque donc de demeurer sec pendant un certain temps. À partir du moment où l'indice de confiance des ménages canadiens continue de chuter, il y a certainement de quoi s'inquiéter.

Le Canada traîne un autre boulet: ce sont les finances publiques provinciales. Les provinces ne peuvent pas résorber leurs déficits aussi facilement que le fédéral. Aucune d'entre elles, jusqu'à présent, n'a réussi à maîtriser l'explosion des coûts de santé, qui continuent de grimper trois ou quatre fois plus vite que l'inflation. C'est une situation intolérable. À l'exception de la Saskatchewan, toutes les provinces sont en déficit cette année, y compris la riche Alberta. La situation est particulièrement critique en Ontario, qui a déclaré un déficit record de 20 milliards l'an dernier, et de plus de 21 milliards cette année (au Québec, le ministre Raymond Bachand a prévu un déficit de 4,3 milliards).

Dans une récente étude sur l'économie canadienne, l'Organisation de coopération et de développement économique s'étend longuement sur cette question. Elle observe, entre autres choses, qu'en matière de dépenses publiques de santé, le Canada n'en a pas pour son argent. Autrement dit, il y a assez d'argent dans le système, mais il est mal géré.

Si on en juge d'après la volte-face du ministre Bachand, qui vient d'abandonner l'idée d'un ticket modérateur, ce n'est pas demain la veille que le problème sera réglé.