Il existe présentement à l'agenda du Congrès des États-Unis un projet de loi qui risque de faire mal de ce côté-ci de la frontière.

Les réflexes protectionnistes des Américains sont bien connus. Certes, avec l'accord de libre-échange, les exportations canadiennes aux États-Unis franchissent la frontière sans être taxées. En ce sens, le Canada a un accès privilégié au marché américain.

Mais les Américains ne sont pas pour autant des partenaires commodes. S'ils n'ont plus le droit d'imposer des droits de douane, ils peuvent sérieusement compliquer la vie de leurs fournisseurs étrangers sous prétexte de protéger l'hygiène publique, l'environnement, la sécurité routière. On a vu, dans des dossiers comme le bois d'oeuvre, le magnésium ou le porc, à quel point ils pouvaient être coriaces.

La dernière trouvaille des protectionnistes américains consiste à obliger leurs fournisseurs étrangers à avoir un agent américain. Si le projet de loi est adopté, il deviendra donc illégal d'exporter aux États-Unis sans agent américain.

En principe, le Congrès doit voter sur le projet d'ici une dizaine de jours. De la façon dont les choses se présentent, il a de fortes chances d'être adopté. Les démocrates et les républicains ont annoncé leur intention de l'appuyer.

Qu'est-ce qui peut bien expliquer une mesure aussi sévère?

C'est la faute aux Chinois! Il se trouve que certaines importations américaines en provenance de Chine (jouets, peintures, cosmétiques) ont présenté de sérieux problèmes d'hygiène. Or, la plupart des manufacturiers de ces produits dangereux n'ont pas d'agent américain à qui le gouvernement pourrait signifier mises en demeure, poursuites ou autres documents juridiques.

Le problème, c'est qu'en voulant se protéger contre certains produits toxiques (on ne peut pas les blâmer pour cela), les Américains se trouvent, par ricochet, à pénaliser tous leurs autres fournisseurs. Il y aurait sûrement moyen de procéder autrement.

En ajoutant une nouvelle contrainte logistique à leur frontière, ils mettent forcément des bâtons dans les roues des exportateurs. Ce sont évidemment les petites et moyennes entreprises exportatrices, qui sont souvent aussi les plus dynamiques pour la création d'emplois, qui vont pâtir le plus. Le projet de loi entraînera évidemment des formalités administratives et des emmerdements coûteux, beaucoup plus difficiles à supporter pour une PME.

Déjà, l'Union européenne a élevé une protestation, évoquant spécialement les problèmes additionnels que cela causera aux PME.

D'un point de vue canadien, le projet est particulièrement inquiétant quand on sait à quel point l'économie canadienne est lourdement dépendante du marché américain. Même amoché par la crise que l'on sait, le marché américain, et de loin, demeure un marché en or pour le Canada. L'an dernier, 74% des exportations canadiennes ont pris la route des États-Unis. Dans l'ensemble de ses échanges avec l'étranger, le Canada a subi un déficit commercial de 5 milliards; mais uniquement avec les États-Unis, il dégage un surplus de 86 milliards. Ces quelques chiffres parlent d'eux-mêmes: sans ses clients américains, le Canada serait beaucoup moins riche.

En fin de semaine, l'ambassadeur du Canada aux États-Unis, Gary Doer (oui, c'est bien l'ex-premier ministre néo-démocrate du Manitoba), est intervenu à son tour. Dans une lettre adressée au Sénat et à la Chambre des représentants, M. Doer rappelle aux Américains que leur projet va carrément à l'encontre des engagements américains tels que décrits dans l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) et l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Il a parfaitement raison. L'ambassadeur ajoute que, «compte tenu des efforts des deux pays pour redresser leurs économies respectives», les nouvelles contraintes que veut imposer le Congrès sont «malheureuses». Évidemment, M. Doer est un diplomate et, par définition, il doit être prudent. En réalité, les conséquences risquent d'être beaucoup plus catastrophiques que «malheureuses», pas seulement pour les exportateurs canadiens, mais aussi pour les consommateurs américains.

Si les produits canadiens ont autant de succès sur le marché américain, c'est parce qu'ils offrent un meilleur rapport qualité-prix (d'ailleurs, dans le dossier chaud du bois d'oeuvre, les premiers à apporter leur appui au Canada, à l'époque, ont été les constructeurs d'habitations américains, parce que le bois américain coûtait plus cher). Les consommateurs américains sont parmi les gagnants du libre-échange, mais cela risque de changer avec le projet de loi.

On pourrait se demander pourquoi le Canada ne riposte pas, et n'adopte pas lui aussi des mesures de représailles contre les Américains. Ce serait la pire des erreurs. Nous l'avons vu, le surplus commercial canadien à l'égard des États-Unis est considérable. Dans un conflit commercial, c'est toujours le pays déficitaire qui a le gros bout du bâton. Le Canada a beaucoup plus à perdre que les États-Unis dans un conflit commercial entre les deux pays.

Dans ces conditions, il faut continuer de protester, contester le projet américain devant des instances comme l'OMC et l'ALENA, et espérer que les parlementaires américains voient un peu plus loin que le bout de leur nez.