Ni pour l'un ni pour l'autre frère, la mort n'aura été «digne», c'est-à-dire paisible, sereine et vécue dans l'amour de ses proches. En fait, elle aura été l'exact contraire de cette façon de mourir que chacun souhaite pour lui-même comme pour les êtres aimés, et dont on débat publiquement à Montréal, cette semaine.

Ni pour l'un ni pour l'autre frère, la mort n'aura été «digne», c'est-à-dire paisible, sereine et vécue dans l'amour de ses proches. En fait, elle aura été l'exact contraire de cette façon de mourir que chacun souhaite pour lui-même comme pour les êtres aimés, et dont on débat publiquement à Montréal, cette semaine.

Pour Jean-Guy et Richard Roy (sans lien de parenté avec l'auteur), de Saint-Jude, une mort miséreuse aura été l'aboutissement d'une vie miséreuse, elle aussi.

Ce fut une vie que Zola ou Simenon aurait pu convertir en un grand roman du destin. Une vie sans moyens de quelque sorte: les frères Roy n'étaient pas surtout privés de ressources financières, en effet, mais plus encore de moyens intellectuels ainsi que des habiletés nécessaires pour naviguer dans une société complexe. Richard était trisomique et son aîné ne savait ni lire ni écrire; apparemment, à la mort de leur mère, en 1990, le plus vieux ne savait pas comment téléphoner et le cadet encore moins, évidemment.

Dans une maison déglinguée, ils sont partis l'un après l'autre dans le silence et la solitude. Jean-Guy, 59 ans, mort le premier de causes naturelles. Richard, 46 ans, mort ensuite de faim, ou de soif, ou d'impuissance, ou de chagrin. Inévitable aboutissement de ces deux vies hors cadres? Peut-être. Jean-Guy avait promis de prendre soin de son frère jusqu'à la mort ; Richard ne pouvait pas vivre - au sens le plus littéral du mot - sans son aîné.

Voilà ce qu'était leur seul trésor: un amour fraternel relevant de l'instinct, probablement jamais dit, d'une tragique beauté.

* * *

Parce que leur cas passait à travers la grille technocratique sans pouvoir s'y accrocher, ou parce que Jean-Guy craignait l'irruption dans leur vie de l'écrasante machine de l'État, ou les deux, ou aucune de ces hypothèses, les deux hommes ne recevaient pas l'aide dont ils auraient eu besoin.

Il aurait fallu que la société agisse, dites-vous? Eh! On aurait le goût d'éclater d'un grand rire cynique...

Quoi qu'elle dise, la société n'aime pas les miséreux. Surtout cette partie de la société qui jure le contraire en pleurant le sort des «exclus», ce mot inventé pour meubler les manifestes, les pétitions et les chansons... mais qui détourne les yeux de la petite misère ordinaire, silencieuse, inexploitable idéologiquement. Cette misère-là est étrangère à toute institution, par définition sans âme, sans humanité, uniquement sensible au tapage des manifestes, des pétitions et des chansons.

C'est pourquoi il y aura toujours une sorte de misère -chaque fois unique, différente, inclassable - qui échappera au système.

Ce fut celle des frères Roy, pour leur plus grand malheur.