Bon, c'est réglé le gaz de schiste. On s'inquiétait pour rien, finalement, ironisait jeudi mon collègue Pierre Foglia.

Monsieur (il m'appelle toujours madame) est furieux contre le gouvernement, qui a commandé une enquête au Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) plutôt que d'imposer un moratoire sur les nouveaux forages.

Foglia a parfaitement raison. C'est réglé le gaz de schiste. Mais peut-être pas pour les raisons qu'il donnait en faisant semblant de blaguer. En injectant sans crier gare des millions de litres d'eau et de produits chimiques dans le sol de Lotbinière pour le fracturer, l'industrie du gaz de schiste a creusé sa propre tombe.

Les audiences du BAPE ne sont pas commencées que déjà, les Québécois sont braqués contre cette activité. La transition pour le moins rapide (en une fin de semaine!) de l'ancien chef de cabinet du ministre du Développement économique, à la direction générale de l'Association pétrolière et gazière du Québec, les a encore indignés. Elle n'a fait que renforcer cette perception selon laquelle l'industrie et le gouvernement entretiennent une proximité incestueuse.

Stéphane Gosselin le dément. Il affirme n'avoir jamais traité le dossier du gaz de schiste au cabinet de Clément Gignac, pas plus d'ailleurs qu'aux cabinets des ministres de l'Environnement et des Ressources naturelles, où il travaillait auparavant. Incroyable, non ?

Même en admettant que Stéphane Gosselin n'ait pas enfreint cette directive du premier ministre qui impose un délai d'un an avant qu'un employé d'un cabinet ministériel puisse travailler pour une société avec laquelle il traitait dans son travail, il en a certainement bafoué l'esprit.

Non seulement sa nomination dessert son nouvel employeur, mais elle fait un tort immense au gouvernement, qui semble plus que jamais de mèche avec l'industrie. Sa crédibilité est entachée.

Ainsi, le mandat de la commission d'enquête du BAPE n'était pas encore dévoilé que déjà, des voix critiquaient sa portée restreinte.

La commission, a-t-on appris hier, s'intéressera à la cohabitation entre l'industrie et la population. Et avec l'aide de scientifiques, elle proposera un cadre légal pour s'assurer que l'industrie travaille de façon sécuritaire, dans le respect de l'environnement.

Les enjeux économiques comme les redevances ne sont pas explicitement identifiés. Toutefois, le grand principe du «respect du développement durable» englobe aussi la question, plus large, de la prospérité du Québec.

Les redevances sont-elles importantes ? Oui, elles sont même cruciales pour que le Québec touche sa part des profits, d'autant que le gaz de schiste est une ressource non renouvelable. Mais est-ce que le BAPE est le seul endroit pour en débattre ? Bien sûr que non.

Mais, l'heure n'est plus aux nuances alors que l'espace public est investi par des groupes de pression et que les positions se radicalisent. D'un côté, une industrie gazière qui se soucie plus de son image que du bon voisinage et qui n'a visiblement rien retenu des ratés de l'industrie éolienne. De l'autre, des groupes écologiques qui, au nom de l'environnement, s'opposent à presque toute forme de développement économique. Ce qui revient, en fin de compte, à prôner l'immobilisme.

C'est navrant, parce que le Québec n'a pas le luxe de se priver d'une source additionnelle d'emplois et de revenus, si tant est que le gaz de schiste puisse être exploité d'une façon sécuritaire et socialement acceptable. Et c'est un gros si.

Les incidents qui sont survenus en Pennsylvanie sont-ils le fait d'entreprises qui bâclent leur travail et sont irrespectueuses des règles de sécurité les plus élémentaires ? Ou est-ce que les risques inhérents à ce type d'exploitation sont trop élevés pour que le Québec s'engage sur cette voie ?

Faut-il fouiller tout le sous-sol du Québec et tout extraire tout de suite ? Ou est-ce qu'on ne pourrait pas prioriser les coins les plus éloignés des zones habitées ? Surtout que le cours du gaz naturel reste près de son prix plancher historique - notamment en raison des découvertes de gaz de schiste...

Bref, il faut mettre en relation les coûts et les bénéfices. D'ailleurs, le gouvernement aurait dû mener cette analyse bien avant d'émettre toute une volée de permis d'exploration. Parce que le moratoire réclamé par l'opposition officielle ne changerait plus grand-chose, s'il faut en croire André Boisclair, ancien ministre de l'Environnement. (C'était d'ailleurs un joli croc-en-jambe à Pauline Marois, son ancienne rivale à la direction du Parti québécois.)

«Un moratoire, cela se place bien dans une conversation de salon, mais dans les faits, c'est excessivement complexe», a noté André Boisclair sur les ondes de la radio de Radio-Canada jeudi.

André Boisclair racontait ainsi que, même après avoir imposé un moratoire, il avait assisté à la construction de grandes porcheries. Les permis avaient été octroyés avant l'adoption de la loi, un long processus. Et il était impossible de revenir en arrière, avec une application rétroactive, sans avoir à dédommager les entreprises qui avaient obtenu ces permis en toute légalité, ce qui aurait coûté une fortune à l'État.

Le gaz de schiste, c'est tout sauf un dossier simple. Mais qui écoutera encore lorsque les audiences du BAPE commenceront ? Comme à la commission Bastarache, les témoins risquent fort d'être jugés avant même d'être entendus.

Le gaz de schiste est en voie de devenir aussi intouchable politiquement que le nucléaire. Or, si les trois mandats de Jean Charest nous ont enseigné quelque chose, c'est les libéraux sont prompts à jeter le bébé avec l'eau du bain lorsque les sondages crient d'indignation.

C'est réglé le gaz de schiste. On s'inquiétait pour rien.