C'est la rentrée scolaire. Mais c'est aussi la grande rentrée des détaillants. Et en cette fin d'août, ils sont aussi inquiets que certains bambins qui regardent leurs parents partir à leur premier jour d'école.

Les quatre prochains mois feront toute la différence. D'ici à Noël, cela passe ou cela casse. Et c'est particulièrement vrai pour la Compagnie de la Baie d'Hudson (HBC), dont le propriétaire américain, Richard Baker, soupèse «avec attention» son retour en Bourse.

«Cela pourrait arriver l'an prochain, tout dépendant de l'état du monde», dit ce président de la Hudson's Bay Trading Company, qui chapeaute HBC et le détaillant américain Lord & Taylor.

Fils d'un riche propriétaire de centre commerciaux - son père, Robert Baker, a amassé plus de 20 millions de pi² d'espace commercial - Richard Baker, 44 ans, a acquis plusieurs détaillants ces dernières années. Mais sa réincarnation de proprio en commerçant ne s'est pas faite sans difficultés.

Établie à Purchase, New York, sa firme d'investissement, NRDC Equity Partners, s'est cassée le nez en misant sur Linens 'n Things avec Apollo Management. Ce détaillant a fait faillite en 2009.

«Comme partenaire minoritaire, nous n'avions pas l'autorité pour prendre les décisions qui s'imposaient. J'ai compris que nous devons toujours contrôler notre destinée», dit-il en entrevue téléphonique.

Puis, NRDC a englouti 110 millions dans la relance de la bijouterie Fortunoff avant de jeter l'éponge. «Si vous n'échouez jamais, c'est que vous n'essayez pas assez fort», philosophe-t-il.

Richard Baker affirme toutefois que les décisions difficiles prises chez HBC, dont les licenciements aux bureaux de direction, ont porté fruit. Les trois bannières de ce groupe de 70 000 salariés (La Baie, Zellers, Déco Découverte) ont «grandement amélioré leur profitabilité». Aussi l'entreprise dans son ensemble serait «très rentable».

Richard Baker n'entend pas se retirer complètement du capital de HBC, qu'il voit comme un investissement à long terme. Seulement 15% à 25% du détaillant sera offert aux investisseurs.

Le plus vieux détaillant d'Amérique du Nord devra néanmoins se mettre sur son 31. Surtout qu'il ne peut plus compter sur sa division de carte de crédit, vendue à GE Capital en 2006, pour embellir ses résultats.

Mais, qu'en est-il sur le terrain ? De petites excursions chez La Baie, la bannière phare du détaillant, sont révélatrices des changements survenus. Et de ceux qui se font attendre.

Premier arrêt le grand magasin de la rue Sainte-Catherine. De l'extérieur, rien n'a changé. Ce sont les mêmes portes tournantes, les mêmes entrées sombres. Mais quelques pas plus loin, il est clair que le rez-de-chaussée s'est refait une beauté. On a éloigné le bazar des écharpes, qui n'est d'ailleurs plus en barda. Et il y a des cosmétiques à perte de vue. Les murs ont été repeints de blanc. Des images de mannequins défilent sur des écrans plats.

Chanel s'est offert une vaste boutique avec cabine privée dont l'ouverture est attendue en novembre. La maison française teste à Montréal ce concept alliant parfums, maquillages et soins, explique Mary Turner, vice-présidente aux achats, vêtements.

Plus loin, les comptoirs de bijoux mode, dont ceux de Juicy Couture, accrochent le regard. Après avoir réduit de 1200 à 800 le nombre de ses marques, pour réduire l'encombrement, la Baie est allée chercher quelque 150 collections pour rafraîchir son image. Juicy Couture est l'une de ces marques avec C by Chloé, BCBG, Max Mara weekend. On trouve maintenant chez La Baie des jeans Armani, des bottes Ugg, des serviettes Lacoste.

Un espace Coach doit ouvrir dans un mois, m'annonce une vendeuse en faisant le tour du comptoir pour me remettre mon sac.

Autre changement frappant, les commis, auparavant introuvables, vont au-devant des clients pour les servir.

À l'étage, un vaste espace dénudé est en rénovation. C'est ici que viendront les collections contemporaines. Plus loin, les présentoirs de souliers s'étirent, cependant que le coin Browns Chaussures est appelé à disparaître. À l'instar de Holt Renfrew, la Baie a mis fin à son association avec ce détaillant pour mieux arrimer ses collections de souliers et de vêtements, explique Mary Turner.

Mais dès que l'escalator atteint le troisième, on voyage dans le temps pour retrouver le vieux La Baie, avec ses murs beiges et ses tapis élimés. Au resto Bon Appétit, quelques vieux clients sirotent un café. Si les jouets sont partis, on trouve encore des présentoirs de cartes de souhaits et tout un étage de meubles. Ici, c'est encore le détaillant qui essaie de plaire à tout le monde...

Au La Baie du centre Rockland, le magasin ne semble pas avoir changé non plus. Pis, des rayons de vêtements soldés près des caisses lui donnent l'air d'un... Winners. Liquidation pour rénovation, est-il écrit. Mais, quand je demande à un commis des bijoux c'est pour quand, il me répond que c'est fait. On a posé de nouveaux carreaux de moquette et conservé les meubles de mélamine blanche.

«En ajoutant des collections exclusives, ils ont pris la bonne approche. Mais ces changements sont lents à venir», note le consultant torontois Richard Talbot.

«Cela ne se fera pas du jour au lendemain, mais d'ici trois ou quatre ans, nous aurons rénové en tout ou en partie nos magasins au Québec», promet Richard Baker, qui a fait la tournée de la province cet été.

Ex-président de Sears Canada, Mark Cohen n'est pas certain que les grands magasins aient beaucoup d'avenir. Plusieurs survivent parce qu'ils sont les derniers à se tenir debout à la suite de faillites.

Mais, s'ils ne réussissent pas à se distinguer par leurs produits, leurs présentations et leurs prix, ils sont condamnés, croit Mark Cohen, maintenant professeur de marketing à l'Université Columbia. Or, le seul trait distinctif de La Baie a longtemps été ses soldes...

HBC vise plus haut pour La Baie. Ce n'est pas une mission impossible, comme Nordstrom et Bloomingdale's l'ont prouvé aux États-Unis. Mais, ce n'est pas encore joué.