Je les ai rencontrés en deux occasions distinctes. Yves Rosconi, lors d'un bruyant colloque sur l'industrie biopharmaceutique du Québec. Jacques Bernier, lors d'un dîner à son invitation, après que j'eus publié un court commentaire sur cyberpresse.ca qui l'avait froissé, bien qu'il ait eu la délicatesse de ne pas me le reprocher.

On ne pourrait imaginer deux hommes aux tempéraments plus différents. Le premier est fougueux et incisif. Le second, lucide et posé. Mais, chacun à sa manière, les deux sont persuasifs. D'où ma perplexité devant leurs positions qui, en apparence, semblent irréconciliables.

À la tête de Theratechnologies, l'une des rares biotechs à succès au Québec, et président de BioQuébec, une association qui regroupe 150 PME et centres de R&D, Yves Rosconi s'alarme des difficultés de l'industrie québécoise. Jadis industrie vedette, notre biotech se meurt, faute d'investissements.

«Nous sommes dans une situation de crise, dit Yves Rosconi. Et quand le feu est pris dans la cuisine, on ne se pose pas de question sur la construction d'une rallonge.»

Dans l'industrie du capital-risque, Jacques Bernier est roi. Il trône sur un fonds de fonds, Teralys Capital, riche de 1,3 milliard de dollars. Il a 700 millions de dollars à investir, le quart dans l'industrie des sciences de la vie. Mais il n'a pas encore misé un cent sur les biotechs.

«En 30 ans, si l'on enlève Amgen (NDLR: une pionnière américaine de la biotech qui compte 17 000 employés), l'industrie n'a jamais donné de rendement», dit Jacques Bernier.

Le grand patron de Teralys compare même les biotechs à l'industrie du transport aérien, réputé être un trou noir en Bourse. Une remarque qui a déjà fait dire à Yves Rosconi que Teralys n'est qu'un «écran de fumée».

D'où l'idée d'inviter ces deux hommes à La Presse pour échanger leurs points de vue. «Faudra-t-il que j'apporte mes gants de boxe?» a demandé à la blague Jacques Bernier, un pugiliste amateur qui a envisagé une carrière professionnelle.

Yves Rosconi et Jacques Bernier ont plus en commun qu'il n'y paraît. Ils partagent le même diagnostic sur l'industrie. Les financiers de la biotech ont saupoudré trop de fonds sur trop de projets différents, analyse Jacques Bernier.

«Ils sont comme des parents qui font trop d'enfants et qui n'ont plus assez d'argent pour les nourrir, de sorte qu'ils sont forcés de les donner en adoption», renchérit Yves Rosconi. Entre l'idée et la mise en marché d'un nouveau médicament, rappelle-t-il, il peut s'écouler jusqu'à 14 années.

L'autre problème, c'est que plusieurs biotechs ont mis tous leurs oeufs dans le même panier. Pis, elles mettent trop de temps avant de tuer un projet qui ne tient pas ses promesses, les scientifiques étant trop souvent épris de leurs recherches.

D'où cette kyrielle de biotechs qui vivotent et qui tombent. Mais en ce sens, la situation de l'industrie québécoise n'est pas si différente de celle de ses concurrentes à travers le monde.

Comment sauver l'industrie québécoise? Les deux hommes croient que les petites biotechs devront se rapprocher des grandes pharmaceutiques. C'est d'autant plus crucial que ces multinationales confient de plus en plus de mandats de recherche à des biotechs, leurs pipelines s'étant asséchés ces dernières années.

Mais, c'est ici que les deux hommes divergent.

Yves Rosconi croit que le gouvernement du Québec doit se servir de son pouvoir d'achat pour inciter les sociétés pharmaceutiques à confier des mandats aux biotechs d'ici.

L'effet sera double puisqu'une association avec une société pharmaceutique rendra une biotech plus attrayante aux yeux des investisseurs, dont les fonds de capital-risque. Après de nombreuses déceptions, ces fonds sont devenus frileux et hésitent à investir.

Jacques Bernier est beaucoup plus darwinien dans son approche, un qualificatif qui pimente d'ailleurs son discours. Si les biotechs du Québec sont incapables de s'associer à de grandes pharmaceutiques, c'est qu'elles sont trop souvent dirigées par des scientifiques plutôt que par des entrepreneurs. En ce sens, ces PME ne méritent peut-être pas de survivre, même si leurs recherches sont prometteuses.

Jacques Bernier est conscient que des entreprises intéressantes risquent de périr en ces temps difficiles. Mais, il ne semble pas s'en émouvoir, ou si peu.

Tant que les fonds consacrés aux biotechs n'investiront pas davantage dans l'industrie et ne réclameront pas plus de fonds à Teralys, un fonds qui investit dans des fonds, il se dit incapable d'intervenir. Jacques Bernier aurait d'ailleurs aimé pouvoir se passer d'un intermédiaire et investir directement dans des PME, à l'occasion, mais les statuts de Teralys le lui interdisent.

Le Québec se trouve ainsi dans une situation paradoxale. Il s'est doté du plus grand fonds d'investissement en capital-risque au pays. Ces capitaux sont d'ailleurs fournis par le Fonds de solidarité de la FTQ et par Investissement Québec, deux institutions qui ont pour mission de créer de l'emploi et de développer l'économie de la province. Et pourtant, Teralys est actuellement paralysée parce que les rares fonds d'investissement qui sont dédiés aux biotechs ne réclament aucune injection d'argent neuf.

Or, avec chaque laboratoire qui ferme, avec chaque entreprise qui fait faillite, des chercheurs de talent partent aux quatre vents. Chercheurs qui ne reviendront peut-être pas au Québec lorsque les fonds de capital de risque sortiront de leur période glaciaire.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca