La situation se détériore au Pakistan, où de nouvelles crues menacent le sud du pays. Le pays vit un moment critique sur le plan humanitaire, mais aussi du point de vue politique, constate le journaliste et expert Ahmed Rashid que La Presse a joint hier, en Espagne.

Il y a deux jours, trois attentats suicide ont fait une quarantaine de morts dans les régions tribales du Pakistan. L'un de ces attentats visait un poste de police près de Peshawar, dans le nord-ouest du pays. Après l'explosion, quelque 200 talibans ont pris d'assaut le bâtiment de la police.

De tels incidents risquent de se multiplier dans les mois qui viennent, craint le journaliste pakistanais Ahmed Rashid, qui s'intéresse depuis longtemps aux mouvements islamistes en Asie centrale et méridionale.

Dans son plus récent livre, Descent into Chaos, il raconte comment les talibans ont réussi à se regrouper dans les régions frontalières afghano-pakistanaises, dans les années ayant suivi l'offensive lancée par l'OTAN après les attentats du 11 septembre 2001.

Depuis la publication de son livre, il y a deux ans, le gouvernement pakistanais s'est attaqué sérieusement aux extrémistes et a réussi à les faire reculer, se réjouit Ahmed Rashid. Mais il craint que les inondations qui ont dévasté le pays ne fassent voler en éclats ces quelques succès.

«Les leaders des talibans afghans, ceux des talibans pakistanais et le leadership d'Al-Qaïda sont toujours bien présents dans ces régions. Le grand danger, c'est qu'ils profitent du fait que les inondations ont détruit des ponts, des routes et tous les moyens de communication pour reprendre et élargir leur territoire», craint Ahmed Rashid.

Des régions entières du Pakistan sont aujourd'hui isolées, inaccessibles par la route. Les gens qui y vivent ont besoin d'abris, d'eau potable, de nourriture. «Des organisations islamistes ont organisé des camps pour ces sinistrés. Et ces camps risquent de devenir un lieu de recrutement pour les talibans.»

Une situation d'autant plus explosive que l'armée pakistanaise a mis toutes ses ressources au service des victimes des inondations. Ce qui donne un beau terrain de jeu aux extrémistes.

Cri d'alarme

Il y a deux semaines, Ahmed Rashid a lancé un cri d'alarme dans le journal Daily Telegraph. À moins d'une aide massive, les tensions sociales finiront par exploser au Pakistan, au risque de faire tomber les régions isolées entre les mains des talibans ou d'autres groupes extrémistes, avertissait-il, en dénonçant le manque de générosité de la communauté internationale.

Depuis, celle-ci s'est activée. Cette semaine, l'ONU affirmait avoir atteint 60% de son objectif de 460 millions pour l'aide immédiate au Pakistan. La Banque asiatique de développement et la Banque mondiale ont promis de verser 3 milliards pour la reconstruction des infrastructures, sans lesquelles le pays est morcelé.

C'est encore loin de combler les besoins immédiats des Pakistanais. Mais ce pays restera fragile même une fois que l'on aura réussi à livrer les biens de première nécessité dans les régions inondées. «Les terres arables resteront inutilisables pendant trois ans, le prix des aliments a déjà commencé à monter, les semences ont été emportées par les eaux», dit Ahmed Rashid.

C'est assez pour alimenter des émeutes, selon lui. Le temps presse, donc. Or, un mois après les inondations, le gouvernement pakistanais ne s'est toujours pas organisé pour distribuer l'aide aux sinistrés.

Mais pourquoi la communauté internationale devrait-elle intervenir là où les dirigeants du pays traînent les pieds? «Parce que c'est la seule manière de s'assurer que l'argent atteigne les gens qui en ont besoin, sans se volatiliser en chemin», répond le journaliste.

La crise humanitaire est terrible, ajoute-t-il. Mais la crise politique qui pourrait éclater si le Pakistan ne se remet pas de cette catastrophe sera plus terrible encore. Et elle risque de déborder en Afghanistan, qui ferait face à un afflux de militants extrémistes. Avec, pour résultat, une escalade de la guerre dans ce pays.

L'autre danger, c'est que de nouveaux camps d'entraînement dans des territoires reconquis par les talibans attirent de jeunes militants venus d'Europe et d'Amérique du Nord. Ce qui ne pourra qu'aider les groupes extrémistes à progresser vers leur but: la transformation du Pakistan en un «État en faillite», perspective d'autant plus terrifiante qu'il serait doté de l'arme nucléaire.

En d'autres mots: il faut aider les Pakistanais. Si ce n'est pas pour eux, faisons-le pour nous...