C'est presque une idée reçue au Canada. Les Chinois ne pourraient acheter PotashCorp puisque le gouvernement fédéral bloquerait cette transaction au nom de la sécurité nationale du pays. Encore hier, le quotidien torontois The Globe&Mail a évoqué cette hypothèse, la qualifiant de «probable».

Il est vrai que beaucoup de gens aiment détester les Chinois. Mais, à moins de faire des acrobaties intellectuelles - et les conservateurs en sont malheureusement capables comme le démontre leur position indéfendable sur le recensement -, le Canada aurait bien du mal à justifier pareille décision.

Le dossier de PotashCorp, par exemple, n'a aucune commune mesure avec celui de MacDonald, Dettwiler&Associates (MDA). Établie en Colombie-Britannique, cette entreprise a mis au point le satellite Radarsat-2, qui surveille l'Arctique et s'assure de la souveraineté du pays. Le gouvernement conservateur avait exceptionnellement bloqué la vente de MDA à des intérêts américains en 2008, jugeant que cette transaction ne représentait pas un «bénéfice net» pour le Canada.

Tous les gens qui s'intéressent le moindrement à l'actualité savent, après une semaine de cours d'engrais 101, à quel point la potasse est névralgique pour accroître la production des récoltes et nourrir la planète. Mais voilà, il n'y a pas de grand secret industriel à produire de la potasse. Réduite à sa plus simple expression, cette production implique de creuser un trou très profond, sous la nappe phréatique, puis d'extraire et de traiter le minerai.

Les Chinois ne pourraient déménager les mines du Canada en Chine! Et ils continueraient à verser des redevances à la Saskatchewan.

De toute façon, et c'est le clou dans le cercueil, le Canada n'a pas de grands besoins en potasse. Les sols de l'Ouest en sont si riches que les cultivateurs de céréales n'en épandent pas. Aussi, l'essentiel de la production canadienne de potasse est exportée.

En fait, je me méfierais beaucoup plus du géant minier Vale, un acquéreur pressenti de PotashCorp, bien que cette entreprise brésilienne ait officiellement nié avoir entrepris des négociations en ce sens.

L'histoire toute récente du conflit de travail chez Inco est assez révélatrice des façons de faire de l'entreprise. Cette histoire qui vient juste de connaître son dénouement vaut la peine d'être rappelée.

Vale a acquis Inco pour 19,4 milliards de dollars en 2006 au terme d'un feuilleton épique qui a vu son rival canadien Falconbridge tomber aux mains du géant suisse Xstrata. Le gouvernement conservateur a d'ailleurs été totalement indifférent à ces importantes acquisitions étrangères au terme desquelles le Canada a perdu ses grands producteurs de nickel.

À l'époque, le PDG de Vale, Roger Agnelli, avait assuré les travailleurs d'Inco que rien ou presque ne changerait à Sudbury. Vale était fière d'acquérir une exploitation canadienne avec une main-d'oeuvre qualifiée. Aussi, l'entreprise brésilienne n'entendait pas changer la façon par laquelle Inco était exploitée.

Vale s'était ainsi engagée à ne faire aucun licenciement ou arrêt de production pendant trois ans à partir de la date d'approbation de son achat d'Inco.

Mais lorsque la crise financière a coulé le prix du nickel et ceux des autres matières premières, les dirigeants de Vale ont changé de discours du tout au tout. Sudbury était devenu un centre de production si coûteux qu'il n'était plus viable au plan financier. Ainsi, en raison des importants stocks mondiaux de nickel, la machinerie s'est tue pendant deux mois. Le ministre fédéral de l'Industrie, Tony Clement, a même songé à intervenir, jugeant que Vale avait rompu sa promesse, avant de changer d'idée.

Lors des négociations pour renouveler le contrat de travail des employés syndiqués, les dirigeants de Vale ont chercher à imposer un régime de retraite moins généreux. Ils ont aussi proposé de réduire la prime liée au cours du ni-ckel et ont cherché à faire des licenciements.

Avec leur long historique de grèves, les 3100 travailleurs syndiqués d'Inco n'ont fait ni une ni deux. Ils ont sorti leurs pancartes et ont monté des piquets de grève le 13 juillet 2009. Piquets que des briseurs de grève ont allègrement traversés par la suite.

Cet acrimonieux conflit de travail s'est réglé au bout d'un an sans faire de vainqueur, chacun ayant été forcé de mettre de l'eau dans son vin, comme c'est souvent le cas. Mais n'allez pas demander aux travailleurs d'Inco de vous parler de Vale, vos oreilles en bourdonneront.

En ce sens, que ce soit BHP Billiton, Vale, Rio Tinto ou une société d'État chinoise, c'est un peu pas mal du pareil au même. Dans tous les cas, le premier producteur mondial de potasse ne sera plus qu'une petite division au sein d'une immense multinationale.

Un oiseau qui se perche sur le dos d'un hippopotame. Et qui le chasse d'un petit coup de queue.

S Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca