L'ancien ministre de la Justice, Marc Bellemare, a refusé, mois après mois, de témoigner à la commission Bastarache, dont le mandat est justement de se pencher sur les accusations qu'il a portées sur le processus de nomination des juges. Il a tenté de convaincre les tribunaux de suspendre les travaux de cette commission. Il a qualifié celle-ci de piège à cons. Ce n'est qu'à la toute dernière minute qu'il a fait volte-face et accepté de s'y présenter.

L'ancien ministre de la Justice, Marc Bellemare, a refusé, mois après mois, de témoigner à la commission Bastarache, dont le mandat est justement de se pencher sur les accusations qu'il a portées sur le processus de nomination des juges. Il a tenté de convaincre les tribunaux de suspendre les travaux de cette commission. Il a qualifié celle-ci de piège à cons. Ce n'est qu'à la toute dernière minute qu'il a fait volte-face et accepté de s'y présenter.

Rétrospectivement, il est difficile de comprendre pourquoi Me Bellemare s'est tant acharné. Il a été bien reçu par le juge Michel Bastarache. Il a été interrogé poliment par le procureur de la commission, Me Guiseppe Battista. Il a pu présenter sans entraves sa version des faits.

Et il a eu, si l'on peut dire, l'avantage de la glace. C'est sur lui, en ce premier jour d'auditions, que les projecteurs se sont braqués. Cela donnera à son témoignage un rayonnement particulier, car les accusations qu'il porte resteront gravées dans les mémoires, peu importe la suite des événements.

Bien sûr, c'est loin d'être fini pour Me Bellemare. Si cette première journée s'est bien passée pour lui, ce ne sera pas nécessairement la même chose quand les avocats des autres parties le soumettront à des contre-interrogatoires plus musclés. Il sera sans doute certainement contredit par d'autres témoins qui auront d'autres versions des faits.

Ce n'est qu'un premier jour. Une commission d'enquête est un long processus. Bien des choses peuvent se passer entre les travaux préliminaires de cet été, ces audiences qui commencent à peine, jusqu'au dépôt du rapport. Il est beaucoup trop tôt pour se prononcer.

Mais déjà, certaines choses semblent évidentes. Une des clés, dans ce dossier, c'est ce qui s'est vraiment dit en privé entre le ministre Bellemare et le premier ministre Charest. Ce dernier a-t-il dit, oui ou non, à son ministre qui se plaignait des pressions exercées sur lui par un argentier du Parti libéral, Franco Fava, pour choisir certains candidats à un poste de juge, quelque chose du genre: «si Franco te dit de les nommer, nomme-les»? En fin de compte, il faudra choisir entre deux versions.

Ce que l'on sait déjà, c'est que l'opinion publique a déjà tranché, comme le montrait plus tôt cette semaine un sondage Angus Reid-La Presse, selon lequel 53% des personnes interrogées croyaient que Me Bellemare était plus crédible, tandis qu'à peine 12% misaient sur M. Charest. Ce sondage mesure sans doute moins la crédibilité personnelle de l'ex-ministre que la profonde méfiance des citoyens à l'égard des politiciens, la conviction que ce monde est pourri, et un parti-pris en faveur des politiciens populistes comme Me Bellemare, perçus comme étant du bord des petits plutôt que celui des puissants.

Qu'est-ce qui ressort de ce témoignage? Si les choses se sont passées comme l'ex-ministre le dit, le processus de nomination des juges semble rigoureux dans l'ensemble, que les influences partisanes indues sont des exceptions, mais que ces exceptions ont quelque chose d'intolérable, parce qu'elles reviendraient à conclure que les collecteurs d'argent d'un parti peuvent désigner des juges.

Et c'est là le grand paradoxe de ce premier jour d'audiences. Cette commission a en bonne partie été créée par le premier ministre Charest comme une diversion pour atténuer les pressions pour la tenue d'une autre commission, sur la construction et le financement politique. Et qu'est-ce qui arrive? Dès le premier jour, le héros involontaire des auditions n'est nul autre que Franco Fava, un dirigeant d'entreprise de construction qui, dans ses temps libres, est un gros collecteur d'argent libéral de la région de Québec. La boucle est bouclée.