Avril 2009. L'armée pakistanaise pilonne villes et villages dans la vallée de Swat, une région du nord-ouest du pays qui se trouve alors sous le contrôle d'insurgés talibans. L'offensive provoque une grave crise humanitaire, mais le gouvernement pakistanais finit par atteindre son objectif : les islamistes qui avaient imposé leur règne de terreur à la population locale sont évincés. La vie reprend son cours dans la vallée.

Août 2010. Les pluies de mousson exceptionnelles qui s'abattent sur le Pakistan inondent le cinquième du territoire de ce vaste pays. Plus de 700 000 maisons sont détruites, six millions de Pakistanais souffrent de faim et de soif, le choléra menace les régions sinistrées. Parmi elles, la vallée de Swat.

Qui vient en aide aux habitants de la vallée? Eh non, ce n'est pas le gouvernement pakistanais, qui se montre complètement dépassé par la crise. En revanche, les talibans y dépêchent leurs organisations caritatives pour monter des camps, nourrir et soigner la population éprouvée - et rivaliser, dans les opérations de secours, avec d'autres groupes islamistes.

L'inaction des autorités pakistanaises a même permis à ces groupes de se frayer un chemin vers d'autres régions inondées, là où on ne les avait pas vus jusqu'à maintenant. Et ce n'est peut-être qu'un début.

«Profitant d'un soutien populaire accru et de la faiblesse du gouvernement, les combattants du djihad orchestrent leur retour non seulement dans les régions de Swat et de Malakand, mais aussi au Pendjab», prévoit le centre de recherche indien Institute for Defence Studies and Analysis (IDSA), dans une «anatomie des inondations» publiée la semaine dernière.

Cette «anatomie» dessine une vision extrêmement sombre pour l'avenir du Pakistan. Le gouvernement aura du mal à combattre des groupes porteurs d'une aide qu'il est lui-même incapable de fournir, prévoit l'auteur de l'analyse. Quant à l'armée pakistanaise, elle sera attelée à reconstruire les infrastructures endommagées et aura d'autres chats à fouetter. Peu à peu, les extrémistes pourraient se frayer un chemin jusqu'au pouvoir.

La plupart des experts ne partagent pas cette analyse pessimiste du sort qui guette, à moyen terme, ce grand pays chaotique, déchiré par des tensions internes et assis sur l'arme nucléaire. Mais tous s'entendent pour dire que le déluge qui dévaste le Pakistan gruge aussi le sol sous les pieds du gouvernement actuel.

«Un sac de riz n'égale pas un vote, la population n'est pas dupe», souligne Mariam Abou Zahab, spécialiste française du Pakistan. Elle n'en constate pas moins que les inondations profitent politiquement non seulement à la mouvance islamique, mais aussi à l'armée.

Chroniqueur pour le réputé journal The Dawn, Cyril Almeida a signé la semaine dernière une critique dévastatrice de la réaction d'Islamabad à la calamité qui frappe son pays. «Comment un gouvernement peut-il être mauvais d'une manière aussi maniaque, diabolique et catastrophique?», demande-t-il.

Joint au téléphone hier, il s'est montré inquiet de voir les talibans profiter du vide politique pour reprendre le contrôle de la vallée de Swat. Même s'il n'appréhende pas de crise politique grave à court terme, il s'attend à ce que les conséquences du déluge se fassent sentir pendant des années. Peu à peu, cela ajoutera forcément à l'instabilité du Pakistan. Or, dans ce pays, l'incertitude et l'instabilité créent des conditions favorables à des coups militaires, rappelle le journaliste.

D'un côté, la montée des islamistes. De l'autre, la perspective d'un coup d'État. Le gouvernement pakistanais peut-il encore sauver la mise? En théorie, oui, pense Cyril Almeida. Mais en pratique, il en doute. Car pour que le gouvernement actuel, arrivé au pouvoir en 2008, se transforme en une «machine administrative efficace», il faudrait rien de moins qu'un miracle. Comme cette denrée est plutôt rare dans ce coin de la planète, reste l'aide internationale qui, tout en sauvant des vies, peut aussi neutraliser les retombées politiques potentiellement explosives des inondations. Qui risquent de se faire sentir longtemps après le déluge.