La boîte trône sur mon bureau depuis quelques jours. J'ai juste eu le temps de l'ouvrir. Pour me rendre compte qu'il n'y avait pas le manuel d'instructions. Comme pour la plupart des produits Apple, il faut le télécharger...

Un collègue me dit que c'est aussi simple que de partir à bicyclette. Je n'en suis pas aussi sûre, mais on verra bien cette fin de semaine, lorsque j'aurai une heure ou deux à y consacrer.

Pour l'instant, donc, mon iPad reste un magnifique bibelot. Mais qu'importe, puisque j'ai déjà la vague impression d'être sauvée. Cet appareil n'est-il pas censé racheter le péché originel de la presse écrite? D'avoir offert gratuitement sur le web des articles fouillés, des chroniques mordantes, des caricatures décapantes, des blogues en tous genres - le tout entrelacé de sottises qui génèrent des clics, soyons francs -, en espérant que les dollars publicitaires tombent du ciel? Seul le Wall Street Journal n'y a pas succombé!

Remarquez, ce n'est pas moi qui le dit, c'est Steve Jobs, Dieu lui-même en personne. L'homme qui veut revendre, à profit, les pages et les informations des magazines et des journaux reformatés pour le iPad et le iPhone.

«Je ne veux pas que nous sombrions dans une nation de blogueurs (!), a-t-il dit lors d'une conférence prononcée à Los Angeles au début de juin - le point d'exclamation d'autodérision est de moi.

«Je crois que nous avons besoin de contenus éditoriaux plus que jamais. Ce qu'il nous faut, c'est trouver une façon pour les gens paient pour ce contenu durement acquis.»

Les éditeurs de journaux et les journalistes ont bu ces paroles comme du Kool-Aid par 35 degrés. Mais quelques mois plus tard, les éditeurs restent avec un drôle d'arrière-goût de poudre chimique dans la bouche.

C'est que Steve Jobs n'est pas un redoutable homme d'affaires pour rien. Et qu'il prêche un peu beaucoup pour sa paroisse, dans le cas présent, le magasins iTunes avec son nouveau rayon d'applications pour le iPad.

Steve Jobs demande aux éditeurs de journaux et de magazines d'abaisser les coûts des éditions iPad de leurs publications. Soit. C'est un peu suicidaire de tenter de vendre son magazine virtuel au même prix que la version papier en kiosque, comme certains éditeurs essaient actuellement de le faire.

Mais il faut voir que le magasin iTunes prélève une commission de 30% sur les titres vendus sur son site. C'être sans doute moins rapace que la commission de 65% que le détaillant Amazon retient sur la vente des livres électroniques pour son lecteur Kindle. Il n'empêche que c'est encore beaucoup.

Cela irait encore si Apple n'essayait pas de se substituer à l'éditeur en vendant et en gérant tous les abonnements. Ce faisant, Apple conserve toutes les informations sur les abonnés (nom, adresse, etc.), que les éditeurs considèrent comme leur trésor sacré. C'est avec ces informations qu'ils peuvent courtiser les annonceurs et offrir des combinaisons de produits et des promotions à leurs lecteurs.

Si le Wall Street Journal a réussi à éviter une confrontation avec Apple (ses clients peuvent télécharger l'application iPad à partir de son propre site, où ils pouvaient déjà s'abonner en ligne), ce n'est pas le cas de Time inc.

Apple a refusé de placer sur son site une application permettant à Time de gérer les abonnements à l'édition numérique de Sports Illustrated. Ainsi, cet éditeur s'est résigné à ne vendre que des copies uniques de ses revues Sports Illustrated et Fortune par l'entremise du magasin iTunes.

De leur côté, les éditeurs n'entendent pas laisser le champ libre à Apple et à Amazon. Time, Condé Nast, Hearst, News Corporation et Meredith se sont associés pour créer leur propre kiosque à journaux virtuels appelé Next Issue Media. Lorsque ce magasin ouvrira, les consommateurs pourront y acheter leurs revues, livres et journaux. Ils pourront les lire sur leur téléphone intelligent, tablette électronique ou ordinateur, et cela, peu importe le fabricant, grâce à une technologie ouverte.

Toutefois, si le bras de fer entre Apple et les maisons de disque nous a enseigné quelque chose, c'est que la bataille des éditeurs est loin d'être gagnée...

Avec toutes ces incertitudes, les patrons de presse déchantent. Nombreux sont ceux qui attendent que la situation s'éclaircisse avant d'investir dans le développement d'applications pour le iPad et autres tablettes électroniques.

Les éditeurs d'ici sont d'autant plus prudents que les Québécois ne se ruent habituellement pas en grand nombre sur les nouveautés techno, n'étant pas reconnus comme des «early adopters».

Combien de Québécois ont acheté un iPad? Combien veulent lire des journaux? Et combien de ceux-ci s'intéressent au Devoir? demandait à voix haute son directeur, Bernard Descôteaux, lors d'une conférence prononcée jeudi dans le cadre de l'École d'été de l'Institut du Nouveau Monde. Ainsi, le quotidien de la rue de Bleury préfère attendre avant d'investir dans la création d'une plateforme iPad.

Entre-temps, les éditeurs devront peut-être se résigner à verrouiller et à faire payer les contenus de leurs sites internet. Toutefois, les expériences que mène depuis juin News Corporation au Times et au Sunday Times de Londres ne sont pas très encourageantes pour les titres grand public, selon les informations officieuses qui ont coulé cet été. Abonnements anémiques, chute dramatique du trafic internet. Certains relationnistes déconseillent même à leurs clients d'accorder des entrevues au Times en raison de son rayonnement limité!

J'ai bien peur que mon iSauveur ne soit pas encore né.