On se croirait dans la suite de Chronique d'une mort annoncée, de Gabriel Garcia Marquez. Sauf que cette fois, l'histoire se passe en Afrique du Sud et la menace vise des milliers de personnes.

En fait, le titre exact serait: Chronique d'un massacre annoncé.

Les journaux, les radios, les politiciens, les ONG, les autorités civiles, les gens dans la rue et les victimes potentielles elles-mêmes - les réfugiés zimbabwéens -, tout le monde ne parle que de ça, à Johannesburg, comme s'il s'agissait d'une inévitable fatalité: sitôt la Coupe du monde terminée, la chasse aux immigrés sera lancée. Et si on se réfère aux événements de 2008 et 2009, le sang risque de couler dans les caniveaux des grandes villes du pays.

«Xénophobie.» Le mot fait partie du vocabulaire courant, ici. On ne prend même pas la peine de faire des phrases complètes pour décrire le sort appréhendé des illégaux. On dit seulement: xenophobia. Comme on disait seulement «apartheid» pour décrire le système raciste du précédent régime sud-africain.

Et de fait, les réfugiés zimbabwéens sont les victimes d'une nouvelle forme d'apartheid. «La xénophobie est dans nos gènes. Ici, en Afrique du Sud, on a tous appris à haïr quelqu'un», résume le révérend Paul Verryn, de la Central Methodist Church, un refuge où s'entassent quelque 1200 réfugiés au centre-ville de Johannesburg.

Ils ont déjà été 2000, ici, à dormir sur les bancs de l'église dans une promiscuité étouffante (comme l'odeur d'urine qui imprègne l'endroit), à s'entasser dans les escaliers, à hanter les corridors. Cette église est l'épicentre de la misère humaine.

Militant antiapartheid dans les années 60, 70 et 80, le révérend Verryn se consacre maintenant aux réfugiés. Il les accueille, leur offre des soins et de la formation, ce qui lui attire critiques et même menaces de mort.

«Je lui mets son échec sur le nez, alors, évidemment, le gouvernement n'aime pas ça, me dit-il dans son petit bureau surchargé de paperasse, de livres, de boîtes, de sacs de nourriture et d'images de Jésus. Si vous saviez toutes les horreurs que j'entends, ici. Des réfugiés arrivent après avoir été battus, volés, violés alors qu'ils traversaient la frontière. Un homme, qui avait été conduit ici pour recevoir des soins et de l'aide, avait eu le pénis pelé comme une banane. Si vous saviez toutes les horreurs...»

Il y aurait entre 2 et 3 millions de réfugiés zimbabwéens en Afrique du Sud, des gens chassés de leur pays par les violences politiques ou attirés par le mirage de la prospérité de leurs voisins. Une immense communauté clandestine.

«En 2008, reprend M. Verryn, je suis allé au Parlement et j'ai dit aux députés que la situation était grave. Maintenant, je dis que nous sommes près de l'état d'urgence.»

Rien qu'au centre-ville de Johannesburg, entre 40 000 et 50 000 immigrés illégaux se terrent dans une soixantaine d'immeubles abandonnés (il y a environ 700 de ces immeubles au coeur de la ville).

Dans le quartier Ellis Park, Melissa et Tandia, deux jeunes Zimbabwéennes, me font visiter leur logis, une pièce de 2 m sur 3 où elles vivent parmi leurs modestes biens.

Il n'y a pas d'eau, pas d'électricité, les murs suintent, les rats dévalent les escaliers de béton en ruine. Ça fait penser au New York déserté du film I Am Legend, avec Will Smith. Ou aux bandes dessinées angoissantes de Bilal.

Melissa et Tandia n'ont qu'une idée, fuir Johannesburg et retourner au Zimbabwe. Mais elles n'ont pas d'argent.

Elles sont terrorisées. Les gens dans la rue leur disent ouvertement que le «ménage» commencera tout de suite après la Coupe du monde. La police débarque régulièrement et leur dit de retourner dans leur pays. Il y aussi les Red Ants (les fourmis rouges), ces agences de sécurité privées envoyées pour vider les squats sans ménagement.

Les médias sud-africains parlent de neo-apartheid et font écho à cette hallucinante rumeur: dès que la Coupe du monde sera finie, les massacres vont commencer.

Il peut ne s'agir, effectivement, que d'une rumeur, mais c'est comme ça que les graves attaques xénophobes ont commencé en 2008. Il y a eu d'autres agressions contre les immigrés en 2009 au Cap, notamment, au camp De Doorns, où jusqu'à 3000 Zimbabwéens ont trouvé refuge.

Dans un pays où le taux de chômage dépasse les 40% et qui continue à perdre des emplois, il est facile d'accuser les étrangers de venir voler des jobs.

Que font les autorités?

Elles écoutent, elles aussi, les rumeurs incessantes et se disent prêtes à intervenir. De toute façon, pour le moment, il ne s'agit que de menaces, a dit la présidente de la Commission des droits de la personne d'Afrique du Sud.

Lorsqu'elles ont traversé clandestinement le fleuve Limpopo, il y a deux ans, Melissa et Tandia croyaient trouver une vie meilleure. À peine étaient-elles sorties de l'eau qu'elles ont été battues et volées par les Goma Goma, des bandes qui sèment la terreur à la frontière.

Les Africains disent que si vous ne vous noyez pas en traversant le Limpopo, vous serez mangé par un crocodile (il y a un parc naturel juste là) ou happé par un hippopotame. Si vous survivez néanmoins, les lions ou... les Goma Goma vous attendront de l'autre côté.

À la liste de ces périls, il faut maintenant ajouter la xénophobie, aussi sournoise que les crocodiles du Limpopo.



Photo: Reuters

Des policiers procèdent à des arrestations suite à des violences anti-étrangers survenues au Cap.