L'émission française Le plus grand cabaret du monde, animée par Patrick Sébastien, s'est transformée, le 31 décembre dernier, en plus grande fête du Nouvel An de l'Hexagone, attirant près de 5 millions de téléspectateurs.

Parmi la brochette d'invités, deux jeunes acrobates du Cap, José et Kaghiso, qui ont présenté un numéro aussi drôle que spectaculaire (vous pouvez visionner leur performance sur YouTube en tapant «Joka Boys»).

Les Joka Boys, contraction des deux prénoms et jeux de mots autour de joke ou de joker, ne seraient jamais montés sur la scène de cette superproduction française s'ils ne s'étaient pas rencontrés, il y a quelques années, à l'école du cirque ZipZap, au Cap. Ce «cirque social» fait des acrobaties depuis 1992 pour se maintenir à flot et pour aider les jeunes de cette grande ville d'Afrique du Sud.

Brent van Rensburg et Laurence Estève étaient fiers de parler de leurs protégés lorsqu'ils m'ont reçu dans leurs modestes bureaux du chapiteau, au centre-ville du Cap.

«José vient d'une banlieue riche du Cap alors que Kaghiso vient de Khayelitsha, dit Brent. Sans ZipZap, ils ne se seraient jamais croisés! Maintenant, ils donnent des spectacles partout dans le monde.»

Toute la philosophie de ZipZap Circus School est concentrée dans les Joka Boys. Brent et Laurence, lui sud-africain, elle française, ont créé une école de cirque en 1992, à la toute fin du régime de l'apartheid, pour rapprocher les jeunes de toutes couleurs et de toutes origines.

L'école de cirque ZipZap tire la majorité de ses revenus de ses spectacles (entre 80 et 100 par année), mais elle reçoit aussi des subventions gouvernementales et des dons privés, d'entreprises et d'organismes internationaux, dont l'ACDI. ZipZap reçoit aussi de l'aide financière et technique (de la formation pour les entraîneurs) du Cirque du Soleil par l'entremise de son organisme Cirque du monde. Le Cirque du Soleil a donné autour de 650 000 $ à différents organismes en Afrique du Sud depuis six ans, indique Michel Lafortune, directeur du Cirque social.

Au fil des ans, les nombreux autres défis auxquels font face les jeunes en Afrique du Sud ont modelé la démarche de ZipZap.

«Les pères absents, les mères qui courent partout pour faire deux sous, les jeunes souvent laissés à eux-mêmes... C'est comme ça que les gangs recrutent, explique Laurence. Les jeunes cherchent un gang, un groupe auquel appartenir. Ici, ils trouvent un gang cool.»

«Un peu de joie»

Outre les tensions raciales, il y a aussi des problèmes criants en éducation, les enfants de la rue, la pauvreté, le sida, des phénomènes qui touchent plus particulièrement les townships, dont celui de Khayelitsha, au Cap, le plus grand du pays.

En plus de ses activités d'école du cirque, au Cap, ZipZap a poussé un peu plus loin le concept de «cirque social» en s'associant à Médecins sans frontières afin de mettre sur pied des activités particulières pour les enfants séropositifs de Khayelitsha.

«Le médecin responsable du programme pour ces enfants, Eric Goemaere, nous a sollicités en disant: il n'y a pas que les médicaments et le traitement, il faut mettre un peu de joie dans la vie de ces enfants, ils se porteront mieux.»

La fourgonnette rouge du cirque se rend donc deux fois par semaine à Khayelitsha, où l'attendent 25 enfants séropositifs de 4 à 16 ans. Ils ont droit à un goûter, à un entraînement autour du cirque, mais ils participent aussi à des discussions sur leur état, sur la médication, avec les gens de MSF.

Le fait d'apprendre les rudiments du cirque, d'organiser un spectacle une fois par année (le 1er décembre, journée mondiale du sida) et, surtout, d'appartenir à un groupe permet de briser l'isolement.

Leur spectacle annuel au centre communautaire de Khayelitsha est maintenant très couru. «Nous amenons aussi ce spectacle au chapiteau du Cap parce que bien des gens de la ville ne vont jamais dans les townships, dit Brent. On monte toujours les spectacles autour d'un thème lié à leur état. L'an dernier, le spectacle tournait autour de la trithérapie.»

Sida et sensibilisation

Sur la scène, le cirque ZipZap fait rire et émerveille. Mais dans les coulisses, les combats quotidiens sont épiques. «Il faut d'abord faire de la sensibilisation et apprendre aux gens que l'on n'attrape pas le sida en touchant quelqu'un qui est contaminé», résume Laurence.

La discrimination envers les personnes séropositives et les tabous sont des problèmes aussi graves que la maladie elle-même. «Nous voulions utiliser une église pour nos activités de cirque, mais le prêtre ne voulait pas accepter d'enfants séropositifs. Il nous a laissé utiliser le stationnement», m'explique Anele Xhola, le jeune instructeur de ZipZap qui me conduit dans les rues bondées de Khayelitsha.

Travailler avec les enfants séropositifs des townships, c'est aussi côtoyer la mort. On l'oublie dans les pays riches du Nord, mais le sida tue encore.

«Celui-ci, le grand, là, me dit Laurence en montrant un adolescent sur une photo, il est mort l'an dernier. De la rougeole...»

Mourir de la rougeole en 2010? Des milliers de Sud-Africains séropositifs sont morts l'an dernier de la rougeole, faute de vaccins. «Le gouvernement avait mis la priorité sur la grippe H1N1 parce que les touristes s'en venaient pour la Coupe du monde, explique Laurence. Il y a eu une épidémie de rougeole, mais le vaccin est venu après. Parmi les séropositifs, ç'a été l'hécatombe.»

«Le but de ZipZap, ajoute Laurence, c'est aussi de divertir les jeunes de Khayelitsha, de leur changer les idées, eux qui passent beaucoup trop de temps aux enterrements la fin de semaine.»

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