Curieux qu'on n'y ait pas pensé avant.

La rémunération des grands patrons est peut-être le sujet d'affaires le plus chaudement débattu depuis le début des années 2000. Les entreprises qui offrent de généreuses primes sont-elles vraiment mieux gérées? Les mesures d'incitation au rendement mènent-elles à la prise de décision à courte vue, au détriment de la pérennité de l'entreprise?

S'il y a un sujet qui a été disséqué depuis la crise financière, c'est bien celui-là. Et pourtant, personne ne s'était intéressé, de façon sérieuse, aux conséquences d'une rémunération follement disproportionnée entre le PDG et, disons, le commis qui lui livre son courrier ou le professionnel en marketing qui lui obéit au doigt et à l'oeil.

C'est ce que croient les auteurs d'une nouvelle étude qui s'intitule La méchanceté dans les organisations: quand les grands patrons empochent les millions.

Le titre de cette étude ne fait d'ailleurs pas trop de mystère de sa conclusion. Plus les patrons sont grassement rémunérés et plus la différence salariale est grande entre eux et leurs employés subalternes, plus ces dirigeants sont méchants envers les petits salariés.

«Les grandes inégalités dans la rémunération des dirigeants et des employés ordinaires font en sorte que les patrons se sentent tout-puissants. Cette perception les entraîne à maltraiter les petits salariés», écrivent les auteurs de cette étude.

On ne s'en étonnerait pas si cette étude était tirée d'une obscure feuille de chou. Mais elle vient de paraître dans la prestigieuse Harvard Business Review.

C'est une chose de penser, d'instinct, que les grands patrons traitent leurs employés comme des moins que rien. Tout le monde a une histoire pour le prouver. Ou pour l'infirmer. Mais c'est une tout autre histoire que de tenter d'en faire la démonstration empirique.

Les trois professeurs, Sreedhari Desai (Harvard), Arthur Brief (University of Utah) et Jennifer George (Rice University), ont mené deux expériences pour y arriver.

Dans la première, ils ont cherché à savoir s'il y avait une relation entre la rémunération globale du PDG et les relations de travail entre l'entreprise et ses employés. Ils ont sélectionné un échantillon de 261 entreprises à partir de la base de la firme Kinder, Lydenberg, Domini&Co., qui est fréquemment utilisée par des firmes d'investissement éthique. L'année de référence est 2007, une année où ces relations de travail n'étaient pas encore entachées par la récession.

Les chercheurs ont ainsi trouvé une corrélation significative entre le salaire du grand patron et l'ambiance au travail. Plus le PDG est richement payé, plus l'entreprise traite durement les employés au bas de l'échelle...

Les trois chercheurs ont aussi mis au point une expérience de laboratoire fascinante; 62 élèves au bac y ont participé, dans le cadre d'un cours.

Ces élèves ont été invités à un concours qui les a mis en concurrence avec des élèves d'une autre université. Dans un premier temps, ils devaient résoudre une série d'anagrammes. Dépendant de leur résultat, ils seraient désignés soit patrons, soit employés.

Tous les participants à l'expérience se sont fait dire qu'ils avaient battu les élèves de l'autre université. Bref, ils étaient tous patrons! Mais certains se sont vu attribuer le titre de grand patron, avec un salaire à la clé. Alors que d'autres n'étaient que des cadres intermédiaires avec une rémunération plus modeste, leur note n'étant que légèrement supérieure à celle de leur employé.

Ces dirigeants se sont ensuite fait dire que leur employé résoudrait une autre série de problèmes. Les résultats à ces tests devaient servir à déterminer les profits de l'entreprise, dont ils toucheraient une partie à titre de gestionnaire.

Or, les patrons ont tous été informés que leur employé avait eu un rendement «moyen»: cela ne cassait rien, mais ce n'était pas la catastrophe non plus. À eux de décider s'ils souhaitaient conserver leur employé ou le remplacer par un autre.

Qu'ont-ils fait? Les gestionnaires avec les salaires les plus élevés ont été nettement plus portés à renvoyer leur employé (à presque deux contre un). En revanche, les cadres intermédiaires avec des salaires moins élevés étaient plus nombreux à maintenir leur employé en poste.

Les auteurs de l'étude jugent que le congédiement, une mesure extrême en entreprise, est un bon indicateur de méchanceté. On peut en débattre, il va sans dire.

Mais les résultats de ces expériences sont révélateurs. Et ils donneront matière à réfléchir aux syndicats et peut-être même aux conseils d'administration.

Si vous voulez lire le texte intégral de cette étude ou en vérifier la méthodologie, le lien internet se trouve sur mon blogue, à l'adresse suivante. (https://blogues.cyberpresse.ca/lapresseaffaires/cousineau). Les réactions sont évidemment bienvenues.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca