Était-ce le gaz lacrymogène qui flottait dans l'air? Ou encore les protestataires qui chantaient le Ô Canada au moment de leur arrestation qui ont touché une corde sensible? Toujours est-il que la réunion du G20 a suscité des élans de patriotisme dont la ferveur était de plus en plus intense, plus on s'approchait de l'épicentre de Toronto.

Ainsi donc, Stephen Harper est devenu, en l'espace d'une semaine, un homme d'État de grande stature, un partisan du multilatéralisme et un leader sur la scène internationale!

Lui qui a torpillé l'accord de Kyoto. Lui qui s'est réjoui de l'accord de principe sur la lutte contre les changements climatiques de Copenhague, un accord si peu contraignant qu'il en est vide de sens. Lui qui tentait encore de raccommoder les relations entre le Canada et la Chine à la toute veille des rencontres du G8 et du G20, après les avoir tantôt négligées, tantôt envenimées au cours des quatre dernières années.

Ainsi donc, le «consensus de Toronto» est un accord de coopération économique historique! Vraiment?

À l'ouverture de cette rencontre dans ce forum qui, faut-il le rappeler, est encore tout jeune, les attentes n'étaient pas très élevées. Surtout que les pays étaient divisés, à leur arrivée au Canada, sur les deux principaux enjeux de cette rencontre, chacun campant sur ses positions. Nombreux étaient ceux qui s'attendaient à ce que la déclaration finale de la rencontre de Toronto se termine, en substance, par un «on s'en reparle et on déjeune à Séoul en novembre».

D'où la surprise d'une déclaration qui, en apparence, semble plus substantielle, avec des objectifs chiffrés.

Mais, au-delà des points politiques marqués par le Canada, qui a obtenu l'essentiel de ce qu'il revendiquait, il n'en demeure pas moins que la promesse d'une action économique concertée reste exactement cela. Une promesse dont les pays pourront se dégager, à la première grande difficulté.

Les pays du G20 se sont engagés à se serrer la ceinture, pour réduire de moitié leur déficit d'ici 2013 et pour réduire le poids de leur dette par rapport à leur produit intérieur brut d'ici 2016. À chacun de trouver la façon d'y parvenir - sans compromettre la relance de l'économie, une petite victoire à l'arraché des États-Unis.

Pour de nombreux pays, cela tient toutefois de la quadrature du cercle. Ainsi, cet engagement, une victoire du Canada et des pays européens qui sont épouvantés par la crise en Grèce, est subordonné, selon la déclaration finale, aux «situations nationales particulières».

Les pays du G20 ont déjà accordé un passe-droit au Japon, pour qui ces objectifs sont jugés impossibles à atteindre. Parions qu'ils seront aussi indulgents avec les États-Unis de Barack Obama, pour qui la lutte contre le déficit arrive loin derrière la lutte contre le chômage (scotché à 9,7%) à quatre mois des élections de mi-mandat et à deux ans des grandes élections de 2012.

Comme il n'y a aucune autre contrainte que la pression exercée par les marchés financiers, les pays membres pourront en faire à leur tête. De toute façon, les pays ont déjà à composer avec cette pression, et cela ne les a jamais empêchés de commettre tout un tas de bêtises! Et puis, depuis quand les marchés, animés par des poussées spéculatives, sont-ils le rempart de la saine gestion des finances publiques?

Les pays du G20 se sentiront-ils vraiment liés par leur promesse de Toronto, qui ressemble plus à un souhait qu'à un engagement formel? C'est là le premier grand test du G20.

Quant à l'autre grand enjeu, la réglementation du secteur financier de façon à ce que les contribuables n'aient plus à payer les pots cassés, les dirigeants du G20 ont quitté Toronto aussi divisés qu'ils l'étaient à leur arrivée. Les leaders de l'Europe (Allemagne, France, Royaume-Uni) introduiront des taxes sur les banques, tandis que le Canada et l'Australie se garderont de pénaliser leurs institutions qui ont été plus sages durant les années de croissance folle. Pour l'action concertée, on repassera.

Tout au plus ces pays se sont-ils entendus pour solidifier le système bancaire en accroissant «significativement» autant la quantité que la qualité des réserves en capital. Les leaders du G20 ont évoqué des réserves qui permettraient aux institutions financières de traverser une tempête de l'ampleur de la crise financière de 2008-2009. Mais une telle exigence implique des réserves de l'ordre de 20%, ce qui semble tout à fait irréaliste observe Simon Johnson, ex-économiste en chef du Fonds monétaire international qui enseigne maintenant au Massachusetts Institute of Technology.

Pas étonnant qu'on observe ici certaines dissensions, dont celle du Mexique, qui craint d'étouffer le crédit et la relance économique en exigeant des réserves de cette importance.

Quant à l'établissement de normes comptables communes et l'adoption de grands paramètres pour une rémunération saine des PDG, cela tient pour l'instant du département des miracles.

À Séoul, donc, tout reste à faire.

Même si la rencontre a été entrecoupée par des matchs de foot, les pays du G20 se sont réunis à Toronto avec tout le sérieux qu'exige cette fragile et inégale relance économique mondiale. C'est un B+ pour l'effort. Mais avant de glorifier le «consensus de Toronto» et de sanctifier le G20 comme nouveau forum multilatéral pour soigner les grands bobos économiques de la planète, il faudra voir dans quelle mesure ces engagements résisteront à l'épreuve du temps. Ce n'est pas joué.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca