À l'entrée du Massilia, un rendez-vous de Français vivant à Montréal, il y avait un coq - acheté il y a quelques jours dans une ferme de l'Assomption - dans une cage avec son nom inscrit sur un carton: Raymond.

Sauf que la moitié de la salle était vide alors qu'on a habituellement du mal à entrer lorsque la France joue. C'est vous dire la désolation française. Ils n'y croyaient plus, ils avaient un peu honte...

Les spectateurs présents étaient du genre cynique. Ils criaient: Allez Raymond! et jouaient de la flûte quand le sélectionneur français, Raymond Domenech, apparaissait à l'écran.

Ils disaient qu'ils allaient manger Raymond aussi, au vin avec des petits oignons ou bien à la marseillaise, c'est-à-dire au fenouil et à l'anis. (Massilia est le nom romain de Marseilles.)

Et puis les Bleus n'ont même pas eu la décence de se battre pour le dernier match. La déchéance du foot français était complète.

Mais si on bavarde avec les cousins, on obtient une autre version des choses. Les potes au café La vache qui pète, sur Rachel, voient plus loin.

Nicholas, entraîneur de natation au club Saint- Lambert, jure qu'il ne retournera pas en France avant sa retraite.

«Il ne faut pas analyser ceci comme une défaite sportive, mais comme une défaite sociologique. Cette équipe des Bleus est à l'image de la France actuelle, pleine de problèmes culturels et générationnels. Les Bleus sont divisés entre des joueurs de la banlieue et de milieux plus aisés, entre des cliques de Blancs, Noirs africains et Noirs antillais, entre la gauche et la droite... Je ne me reconnais pas du tout dans cette équipe.»

Nicholas, qui entraîne des jeunes, a été froissé par le comportement de Nicolas Anelka, expulsé du club pour avoir insulté Raymond et pour avoir divisé ses coéquipiers.

«Il n'y a aucune excuse pour son comportement. Anelka n'a aucun respect pour les dirigeants, ses coéquipiers, pour la France... Le Q.I. d'Anelka se situe entre ceux d'un légume et d'une huître. Il y a des milliers de jeunes sportifs qui vont l'imiter. Lui et les autres se foutent complètement d'humilier la France. Ils sont trop riches.

«Il faut dire que la France, contrairement aux autres pays, n'a pas une solide culture d'équipe nationale. Elle a surtout une culture de villes et de clubs.

«Je ne renie pas mes origines, mais j'avoue que ma fierté d'être français diminue continuellement.»

Mafia et racaille

Dominique, le patron du café: «Il y a des limites au chauvinisme. On ne peut pas encourager une bande de riches enfants gâtés. Les Bleus ont fort probablement le total de salaires le plus élevé des clubs à la Coupe du monde et ils ne font rien. On sait maintenant ce qu'il y avait comme ambiance, comme clans.

«En 1998, les Bleus étaient composés de monsieurs, de gens respectueux. Le sélectionneur Aimé Jaquet avait écarté Éric Cantona pour bâtir son équipe autour de Zinedine Zidane. Il avait une vision. Cherchez un incident disgracieux dans la vie de Zidane hors du terrain... il n'y en a pas eu.

«Les Bleus de 2010 ont plusieurs joueurs pas très instruits, des gars de la banlieue qui ont du mal à gérer leur célébrité et leurs millions. Sarkozy dirait de la racaille...»

Pourquoi ne pas avoir racheté le contrat de Domenech?

«Parce que c'est une petite mafia. Si Domenech mange dans la gamelle, c'est que d'autres, ses copains qui le protègent, mangent avec lui. Il vous tous partir ensemble...»

Thomas: «Je trouve la France négative de nos jours. Dans d'autres pays, on aurait encouragé l'équipe, mais le public français l'a fustigée avant le début de la compétition. S'il n'y a que du négatif dans cette équipe, c'est parce qu'il y a beaucoup de négatif dans la société française. Les Bleus sont tout à fait à l'image du pays.»

Mustapha, qui travaille en communications: «Nous venons de voir éclater la bulle du marketing et des communications. Ils ont endormi le public avec cette équipe qui avait tous les talents. Mais la vraie vérité se trouve uniquement sur le terrain...

«Et le coq Raymond va finir au vin et aux oignons. Vous verrez que personne ne va traiter Laurent Blanc (le prochain sélectionneur) de fils de pute. Domenech n'est même pas capable de le nommer quand il parle de son successeur.

«Le capitaine (Patrice Evra) n'a pas fait son travail non plus. Il cherchait le traître qui avait ébruité les insultes d'Anelka. Il aurait dû s'excuser de ne pas avoir rassemblé son équipe. Ce n'est pas un capitaine...»

Un des spectateurs portait une casquette qui disait Chalut biloute. Ça veut dire «Salut mon chum», en dialecte Ch'ti.

On pouvait l'appliquer aux Bleus, mais aussi à Raymond le coq qu'ils amenaient dans la cour arrière en disant «À table!»