Ah! les Français. Ont-ils été assez ridicules ces jours derniers? Non, pas assez. Le monde entier en redemande, aimerait se moquer d'eux encore un peu, et les Québécois, bien sûr, ne sont pas les derniers à rigoler comme des fous.

Au fait, qu'y a-t-il donc de si Français dans ce psychodrame?

Tout cela a commencé par une injuste qualification pour le Mondial (contre l'Irlande), injuste parce que survenue sur une erreur d'arbitrage. Il n'y a rien de français là-dedans. Dans la polémique qui a suivi non plus. Il a beaucoup été question de respect des règles et d'honneur. Cela a donné lieu à un débat plutôt intéressant sur la morale sportive.

Ça s'est gâté sur le terrain. Les Bleus ont mal joué leurs deux premiers matchs. Il faut bien dire qu'ils n'ont pas une grande équipe. Le creux de la vague. Il n'y a rien de particulièrement français dans l'immense déception du pays après les deux premiers matches. Les Italiens capotent tout autant, et les Anglais aussi.

Au coeur du psychodrame des Bleus, un homme, Raymond Domenech, le sélectionneur français. Pas si Français que ça, d'ailleurs : fils d'un immigré catalan antifranquiste réfugié en France, personnage déroutant, de gauche - du moins syndicaliste, c'est lui qui l'a dit en entrevue à L'Express.

Mais surtout, au coeur du psychodrame, il y a la stratégie de Domenech, qui elle non plus n'a rien de français, même qu'elle est d'inspiration nord-américaine. Je l'appelle la stratégie de la perdrix. Quand une perdrix sent que ses petits sont menacés, elle se dépêche d'attirer l'attention sur elle. Elle s'arrange pour croiser votre chemin en tirant de l'aile. Vous vous dites : ah, tiens une perdrix blessée, et vous courez après. C'est ainsi qu'elle vous éloigne de ses petits.

C'est ainsi aussi que les entraîneurs de quelques grandes équipes sportives se mettent à tirer de l'aile pour attirer les prédateurs loin de leurs petits - je veux dire pour éloigner les journalistes de leurs joueurs. Domenech a porté cette stratégie à un tel point d'exacerbation, il a tellement écoeuré les journalistes, il les a promenés par tant de chemins sans issue que cela a fini par se retourner contre lui.

Cette fois, les journalistes n'ont pas couru après la perdrix; ils ont cherché son nid, l'ont trouvé et ont placé un espion dedans. L'espion leur a tout rapporté : va te faire enculer, fils de pute. Puisque c'est comme ça, on ne s'entraînera pas. C'est qui, le traître, que j'y casse la gueule? Et autres pantalonnades, encore là, pas particulièrement françaises.

Sans Domenech pour faire écran, les joueurs se sont montrés tels qu'ils sont : des psychoses à crampons. Tels qu'ils sont dans tous les pays, dans presque toutes les disciplines. Tout, chez eux, est surdimensionné : le succès, la fortune, la bêtise. L'ego, bien sûr. Le pire exemple à ce Mondial n'est pas français, il est portugais : Cristiano Ronaldo. Le deuxième pire exemple non plus n'est pas français, il est argentin : Maradona.

Le même psychodrame, avec les mêmes rebondissements et les mêmes excès de langage, pourrait toucher l'Angleterre, l'Italie, l'Espagne, le Brésil, le Canada. Imaginez si l'équipe canadienne ne s'était pas qualifiée pour les quarts de finale à Vancouver, l'hiver dernier.

En fait, c'est le contraire de ce qu'on raconte : ce psychodrame n'est pas de nature française. Par contre, il agit comme un révélateur sur la nature de la France. Il en donne une photographie en couleur.

J'adorerais être en France ces jours-ci, comme un anthropologue rêve de débarquer chez les Wawayouyous au moment d'une éclipse totale du soleil. J'adorerais faire ma chronique en direct du Café du Commerce d'Angoulême. Je ferais semblant de lire mon journal...

Ah! les cons! Tu sais, ils nous prennent vraiment pour des cons.

Attends, j'te suis pas, là. Les cons, c'est eux ou c'est nous?

Les deux. Y a que des cons, dans ce pays. Y a les cons, et y a les autres cons. Remets-moi ça, Marcel.

***

On n'a pas arrêté de dire qu'un match nul entre l'Uruguay et le Mexique éliminerait les Bleus, comme si l'Uruguay et le Mexique allaient s'entendre sur ce nul qui enverrait le Mexique à l'abattoir au tour suivant (contre l'Argentine).

Pour se qualifier, les Bleus doivent souhaiter que le Mexique et l'Uruguay ne fassent pas match nul. Ils doivent aussi cartonner très fort contre l'Afrique du Sud, genre 5-0. Le gardien titulaire des Africains n'est-il pas suspendu? N'empêche. Qui, pensez-vous, serait plus ridicule que les Français s'ils devaient se qualifier ce matin? Vous!

AVEC MES EXCUSES À CHARLES BAUDELAIRE - Il y a tellement plus désolant que les Français, ces jours-ci... Il y a ce pauvre Obama. Mais lui, c'est pas de sa faute... Semblable au prince des nuées/Qui défiait les tempêtes, se riait des archers/Exilé sur la plage au milieu des huées/Ses ailes de goudron l'empêchent de marcher.

On ne sait ce qui est le plus désespérant : la chute du prince, les gouffres amers. Les riverains de la marée noire qui pataugent dans la marde noire mais n'en réclament pas moins la levée du moratoire qui leur redonnera des jobs sur les plateformes de forage. Je crois que c'est cela, le plus désespérant : les gens. C'est toujours les gens, le plus désespérant. C'est toujours le Café du Commerce.