Fidèle à sa mauvaise réputation, la Bourse est parfois le théâtre des pires abus.

Et de ce temps-ci, la palme revient à Frank Stronach, président-fondateur de Magna International, et Belinda, sa vice-présidente de fille. Pour convertir en actions ordinaires le bloc d'actions multi-votantes détenue par leur fiducie familiale, ils ont négocié avec la haute direction de l'entreprise une prime de l'ordre de 1800% par action avec droit de vote multiple détenue.

Mais avant de festoyer, la famille Stronach (Frank, Belinda et compagnie) doit faire approuver «son» fort coûteux projet de restructuration du capital-actions de Magna International non seulement par les actionnaires de l'entreprise mais également par la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario (CVMO).

La fiducie Stronach détient actuellement un bloc de 726 829 actions multi-votantes, ce qui lui confère 66% des droits de vote. Chaque multi-votante lui procure 300 droits de vote. En échange de la radiation des actions multi-votantes, le projet de restructuration de capital-actions de Magna prévoit octroyer à la fiducie Stronach une valeur globale de 864 millions de dollars, répartie comme suit: une somme au comptant de 300 millions, plus un bloc de 9 millions d'actions ordinaires.

La généreuse prime de 1800% offerte aux Stronach a soulevé la colère de plusieurs investisseurs institutionnels. À tel point que la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario (CVMO) a décidé de tenir des audiences sur le controversé plan de restructuration du capital-actions de Magna International, le plus important fabricant canadien de pièces d'auto.

Les audiences de la CVMO auront lieu mercredi prochain, 23 juin, soit exactement cinq jours avant le vote ultime des actionnaires lors de l'assemblée convoquée à cette fin le 28 juin prochain, à Toronto. Si la CVMO bloquait le généreux plan d'arrangement, l'assemblée sera de toute évidence reportée à une date ultérieure.

Au nombre des opposants à la transaction, on retrouve le Régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l'Ontario, mieux connu sous le nom de Teachers', et l'Office d'investissement du RPC (régime de pension du Canada).

Selon Teachers', la proposition de Magna d'offrir une prime de 1800% à la famille Stronach pour ses actions à droit de vote multiple «est fondamentalement inéquitable» pour tous les autres actionnaires, qui eux, détiennent des actions à droit de vote subalterne.

«Elle (la proposition) soulève aussi des questions plus larges en matière de gouvernance, à savoir si le conseil d'administration (de Magna) a assumé ses responsabilités, et en ce qui a trait au but et aux avantages d'organiser les actions en deux catégories pour les actionnaires.»

«Les membres de la direction, ajoute Teachers', sont tenus de prendre des décisions dans le meilleur intérêt de la société. Or, la direction de Magna ne semble pas avoir pris une telle décision. Elle semble plutôt en avoir rejeté la responsabilité sur les détenteurs d'actions de catégorie A et sur les tribunaux.»

Pour sa part, l'Office d'investissement du RPC trouve que la prime offerte aux Stronach pour racheter à des fins de radiation leurs actions multi-votantes est déraisonnable. L'approbation du coûteux projet de restructuration du capital-actions en faveur des Stronach entraînerait la «dilution inéquitable de la valeur» des actions à droit de vote subalterne des autres actionnaires de Magna International.

Autre grave problème soulevé par l'Office d'investissement du RPC: «L'Office est particulièrement préoccupé par le fait que le comité spécial du conseil d'administration de Magna n'ait formulé aucune recommandation en ce qui concerne la proposition, notamment en ce qui a trait au caractère équitable de l'entente pour Magna, ses actionnaires et d'autres intervenants, et que la Banque CIBC, dont les services ont été retenus par le comité spécial, n'ait pas exprimé d'opinion sur l'équité de la transaction.»

Conséquemment, l'Office du RPC recommande aux administrateurs de Magna International de refaire en quelque sorte leurs devoirs en proposant cette fois un projet de restructuration du capital-actions plus équitable envers les actionnaires, autre que les Stronach.

Si les Stronach ont ainsi réussi à se faire octroyer une scandaleuse prime de 1800% pour le rachat de leurs actions à vote multiple c'est parce qu'ils bénéficient d'une clause grand-père.

Depuis 1987, il est prévu par la Bourse de Toronto que les actions à droit de vote multiple et les actions subalternes doivent obligatoirement être traitées sur un pied d'égalité lorsqu'il y a une offre qui est déposée aux détenteurs d'actions multi-voltantes. Le hic? Les sociétés, comme Magna International, qui avaient émis des multi-votantes avant 1987, bénéficient, elles, d'un droit acquis. Et par voie de conséquence, cela donne le privilège aux détenteurs de ces multi-votantes de se négocier une prime d'enrichissement.

L'Autorité des marchés financiers n'a pas voulu commenter la fabuleuse prime que tentent de soutirer les Stronach, prétextant que cela ne relève pas de son ressort, mais plutôt de la Bourse de Toronto. Une chance que la CVMO, elle, s'occupe du problème...

Afin de forcer la main des petits actionnaires de voter en faveur de la prime de 1800% à verser aux Stronach, des investisseurs institutionnels laissent entendre que l'action de Magna (MG.A: 69,80$) XXXXXXXXX pourrait chuter fortement si l'offre était rejetée.

Un conseil aux actionnaires: ne vous laissez pas berner. Les Stronach ont financièrement intérêt à diminuer leurs exigences. Si l'action tombe, ils vont perdre une grosse fortune.

Espérons que la CVMO mettra ses culottes et qu'elle bloquera la transaction qui est actuellement sur la table.