C'est dans le bureau Ovale de la Maison-Blanche que John F. Kennedy a expliqué la crise des missiles à Cuba. Que Richard Nixon a démissionné. Que George W. Bush a promis de venger les Américains, le soir du 11 septembre 2001.

Et pourtant, aucun incident n'avait paru assez grave, aux yeux de Barack Obama, pour qu'il livre un message télévisé à la nation dans ce cadre solennel. Même aux heures les plus sombres de la crise financière, le 44e président des États-Unis s'en était abstenu.

Il a changé d'avis avec le pire désastre écologique de l'histoire du pays. Et avec cette crise politique qui menace sa présidence, à cinq mois des élections de mi-mandat.

Les Américains reprochent à Barack Obama d'avoir été à la remorque des événements. Et de s'être laissé berner par la société pétrolière BP. Depuis que la plateforme Deepwater Horizon a coulé à la suite d'une explosion, le 20 avril, BP a minimisé l'ampleur du déversement. Tout en exagérant sa capacité à colmater la brèche.

Les experts américains ont révisé à la hausse, pour la cinquième fois hier, l'importance de cette fuite. Ils estiment qu'entre 35 000 et 60 000 barils de pétrole s'échappent chaque jour dans le golfe du Mexique! Même les nouveaux équipements que BP achemine dans la région ne suffiront pas à arrêter cette catastrophe écologique en direct. En attendant qu'un deuxième puits de secours soit construit, en août si tout se passe comme prévu, BP captera, au mieux, 90% de la fuite, a précisé hier Barack Obama.

Le président a créé hier une commission d'enquête pour éclaircir les causes de ce déversement. Mais les révélations accablantes des derniers jours, lors des audiences du Comité sur l'énergie et le commerce de la Chambre des représentants, indiquent clairement que BP a été l'artisan de son malheur. Et cela, même si cette négligence ne pouvait exister sans le consentement tacite des autorités américaines.

Barack Obama n'a d'ailleurs pas manqué de le noter en blâmant la complaisance du service de gestion des ressources minérales. «C'est l'industrie qui écrivait ses propres règles», a dénoncé le président dans son discours de 20 minutes.

La société pétrolière a tourné les coins ronds en installant une seule gaine d'acier double au lieu de deux sur son pipeline. Elle n'a pas vérifié non plus si le ciment qui coffrait le puits avait véritablement pris. «Puits de cauchemar», a noté dans un courriel un ingénieur qui travaillait sur ce projet.

Pour reprendre une analogie sportive américaine, BP a lancé une balle à circuit au président. Barack Obama aurait pu la frapper de toutes ses forces. Mais étonnamment, le président a fait preuve d'une certaine retenue, hier. Une critique mesurée qui doit susciter la jalousie des détestés banquiers américains!

Autant le président a été clair - «BP va payer jusqu'à la dernière cenne», a-t-il dit en substance -, autant il a laissé la porte ouverte à une entente avec la société pétrolière. Barack Obama rencontrera aujourd'hui le président du conseil de BP, Carl-Henric Svanberg.

La création d'un fonds d'indemnisation indépendant, d'une valeur encore indéterminée, est non négociable, pour le président. Les victimes du déversement devront être dédommagées rapidement, de manière équitable.

En revanche, Barack Obama n'a pas critiqué le dividende des actionnaires de BP, un paiement archicontroversé, dans les circonstances. C'est comme si le président reconnaissait, de façon implicite, que les critiques gouvernementales menaçaient la survie de la société pétrolière. Si les États-Unis comptent sur BP pour payer la note, il vaut peut-être mieux ne pas terrasser l'entreprise...

Depuis la mi-janvier, BP a perdu la moitié de sa valeur boursière. Son action ne valait plus que 31,40$US à la Bourse de New York hier. L'entreprise pourrait volontairement déclarer faillite ou être la cible de prédateurs, bien que ces perspectives ne dégageraient pas BP de ses responsabilités.

La balle se trouve dans le camp de BP. C'est à elle de faire un geste, même symbolique, et de faire acte de contrition. À la limite, nul besoin de supprimer le dividende aux actionnaires, dont de nombreux Américains. Il suffirait de verser ces paiements dans un compte en fidéicommis, en attendant le dédommagement complet des victimes. BP n'a-t-elle pas toujours prétendu qu'elle a les moyens de payer les pots cassés et d'honorer ses engagements?

Alors que des plages de la Louisiane sont engluées de pétrole, verser un dividende aux actionnaires est indécent. Et puis, BP ne serait pas la première société à amputer son dividende. Bombardier l'a fait au plus fort de la crise du transport aérien.

On ne s'en rétablit pas toujours complètement, mais on s'en remet.

sophie.cousineau@lapresse.ca