Tout automobiliste le sait: on enclenche la deuxième vitesse lorsque la première ne suffit plus. Cette loi de la mécanique s'applique aux systèmes d'éducation et de santé, dont la première vitesse a depuis longtemps cessé de faire le travail. Et elle s'incarne maintenant dans une police à deux vitesses, la seconde étant celle que les commerçants de la Place Dupuis ont embrayée, moyennant 20 000$.

Tout le monde, y compris le maire Gérald Tremblay, a protesté: cela ne saurait exister chez nous. Mais cette réaction impeccablement correcte occulte la vraie question: pourquoi des gens sensés paient-ils en sus une police déjà rétribuée par leurs taxes et impôts? Ce sont les root causes, les causes profondes, de cette situation qu'il faut explorer.

 

Par chance, elles sont évidentes.

Nous n'avons jamais réglé les problèmes que posent le commerce de la drogue, le vagabondage, la mendicité, la petite criminalité et l'incivilité qui rendent invivables certains secteurs du centre-ville. Et nous avons préféré mettre en place un système de... droits à deux vitesses, la seconde étant réservée à ceux qui privent les autres de leur liberté première, celle de jouir paisiblement des espaces publics.

Ainsi, un policier explique (à la SRC) au sujet des toxicomanes régnant au square Viger: «Ils se sont approprié le parc (et) l'autorégulation se fait par les gens.» Traduction: ce territoire est devenu un État souverain dont les citoyens s'autopolicent en vertu de leurs lois à eux. En gros, la situation est la même au parc Émilie-Gamelin et dans quelques autres secteurs du centre-ville.

Faut-il blâmer les policiers? On les taxera de «profilage social» (gracieuseté de la Commission des droits de la personne du Québec) s'ils portent une attention particulière, en certains endroits, à certains types de marginaux...

À sa décharge, ce n'est pas la Commission qui a inventé l'attitude courante de déni face aux désordres urbains lourds. Et ce négationnisme n'a rien à voir avec la compassion: la tolérance extrême alourdit la misère urbaine, parlez-en aux gens de Vancouver.

En fait, cette attitude est plutôt inspirée par le mépris de la classe moyenne et le culte de la marginalité qu'arborent, comme une fleur à la boutonnière, les barons de l'industrie de la mode intellectuelle. Ainsi, une sociologue montréalaise a déjà prévenu les Montréalais que, «pour ceux qui ont peur, il y a toujours la banlieue»! On sait qu'en France, cette morgue à l'endroit du souci sécuritaire du commun des mortels a fait la fortune du Front national de Jean-Marie Le Pen.

À Montréal, on se contente d'équiper la machine policière d'une seconde vitesse... qui ne sera plus nécessaire le jour où la première suffira à nouveau.