C'est drôle, ces gens - des journalistes, même - qui ne suivent pas l'actualité du soccer mais qui, tout d'un coup, tous les quatre ans, ont une opinion bien tranchée sur le Mondial. C'est l'Espagne qui va gagner, vous lancent-ils avec l'assurance du type qui a suivi le championnat espagnol toute l'année. Demandez-leur, pour le fun, de vous nommer trois joueurs espagnols, ou même un seul.

Ces gens qui se disent grands fans de l'Italie parce qu'ils aiment la pizza ou ont fait leur voyage de noces à San Gimignano, ou parce qu'ils ont appelé leur chien Gino. Et c'est rien à côté de la nullité de ceux qui se disent Brésil.

Moi, je suis Brésil.

Ah bon?

Oui, je les aime, les Brésiliens. Ils dansent quand ils jouent au foot. C'est un ballet. C'est pas comme les Allemands.

Ah bon? Qu'est-ce qu'ils font, les Allemands? Ils rampent?

Ils jouent dur. Tu trouves ça con, ce que je dis?

Complètement. Mais t'as le droit, le Mondial est fait exprès pour ça. C'est pas officiel, mais c'est aussi le mondial du con et du cliché. Le cliché futebol-samba des Brésiliens. Le cliché catenacio (cadenas) italien. Le foot-total des Néerlandais et des Japonais. La realpolitik allemande. Qu'est-ce que tu penses des Suisses?

Ben voyons! Les Suisses!

Quoi? T'aimes pas les Suisses?

Ah, si, sont très gentils, ma belle-soeur est suisse. Elle s'appelle Claudine, comme souvent les madames suisses. T'as pas remarqué? Il y a beaucoup de Claudine, en Suisse. Bref, je l'aime bien, mais je suis pas Suisse, je suis Brésil all the way. Toi, t'es quoi?

Moi, je suis Paragouaille.

On dit Paraguay.

Paragouaille, c'est plus joli.

***

Je ne connais aucun joueur du Paraguay, mais je connais Carlos. Sa ferme est le long d'un de mes sentiers de vélo préférés, le chemin Chevalier. Ça monte un peu, les champs laissent la place à une prairie ravineuse où pataugent une vingtaine de Holstein, l'entrée de la ferme est à droite. J'ai déjà habité tout près. Quand j'expliquais où c'était - c'est un peu compliqué -, les gens du coin me disaient : ah oui, t'es juste à côté de la ferme de la fille Swennen, Marie-Louise, celle qui a épousé un immigré du Paragouaille.

Je me suis mis à l'appeler comme ça. Quand il sortait de sa cour au moment où je passais : salut, Paragouaille. Et tout ce qui sortait de cette cour aussi. Les petits chiens qui me couraient après : des petits jappeux paragouaille. Un gamin, parfois, avec une badine : hé, le petit Paragouaille, où tu vas?

Il a trois enfants, Carlos. La première, je me souviens, je voyais Marie-Louise enceinte sur le tracteur pis, pas longtemps après, comme je passais, Paragouaille a fait le geste de bercer, comme font les joueurs de soccer ou les coureurs de bicycle pour dire qu'ils viennent d'avoir un bébé. Ça fait déjà 11 ans. Hier, celle de 11 ans, justement, était habillée en soccer, son père allait la conduire à Bedford pour une séance d'entraînement.

La première fois que je me suis arrêté, j'ai évidemment parlé de Chilavert à Carlos. Quand les gens ne savent rien de l'Italie, ils parlent du pape ; quand ils ne savent rien de la France, ils parlent de Zidane ; quand tu ne sais rien du Paraguay, tu parles de Chilavert. C'était un gardien de but, un personnage, le capitaine de l'équipe, il tirait aussi les penalties. Politiquement sulfureux. Je l'ai vu jouer un grand match contre la France en 1998 - était-ce à Lens ou à Saint-Denis? Anyway.

Pis? Carlos, qui gagne le Mondial 2010?

J'ai bien peur que... Là, il a baissé la voix comme pour m'annoncer un grand malheur : j'ai bien peur que ce soit l'Argentine.

Quoi? T'aimes pas Maradona?

Je l'ayis. Je les hayiiiiiiis tous.

Chilavert, qu'est-ce qu'il devient?

Il devient une vache. Il est énorme. Toi, tu prends pour qui?

Je ne sais pas, Carlos. J'aimerais bien pouvoir suivre jusqu'en quarts de finale une petite équipe surprise, comme la Serbie, l'Uruguay, même les États-Unis, une de ces équipes qui ferment la gueule aux experts.

ESSAYEZ LA GÉOGRAPHIE - Mettons que vous n'en pouvez plus. Sont 12 dans votre salon, parlent du Mondial et disent des niaiseries, mais des niaiseries! Attendez qu'ils parlent de la Côte d'Ivoire. Y en a toujours un qui va parler de la Côte d'Ivoire, ne serait-ce que pour évoquer la blessure de Drogba. À ce moment-là, vous glissez : c'est quoi, déjà, la capitale de la Côte d'Ivoire?

Y trouveront pas. C'est impossible à trouver. C'est un nom incroyable. Je viens de regarder dans le dictionnaire, et je ne m'en souviens déjà plus. Tandis qu'ils cherchent et ne trouvent pas, remettez-en une couche : et la capitale de la Slovénie?

Pour revenir au soccer, on va se souhaiter du jeu inspiré. Je veux dire : que le plan de match n'étouffe pas le style, comme cela arrive encore parfois dans ce sport-là - mais beaucoup moins souvent qu'avant, c'est vrai.

On va se souhaiter une finale lumineuse comme celle de 1998 (France-Brésil), quoique j'aie beaucoup aimé aussi celle de 2006, pour ses coups de théâtre (et son coup de tête!), même si les Français, eux, ont moins aimé ça.

LES EXPERTS - Petite autoflagellation pour conclure cette chronique presque sportive : je suis allé dire l'autre jour à mon jeune collègue Miguel Bujold, qui m'a cité dans son papier, que les Lakers étaient tout seuls dans cette finale de la NBA, ce que je maintiens. Mais, ai-je ajouté, si les Celtics en gagnent une à Los Angeles, la série sera plus longue! Autrement dit, les Lakers en quatre, mais si c'est en cinq ou en six, ce sera plus long. Pour cette vibrante tautologie, je mériterais que quelqu'un me décerne le trophée Jacques-Demers. Miguel pouvait bien, le sourire en coin, me présenter comme «l'expert du basket à La Presse». Hé, Miguel, je suis aussi l'expert de La Presse pour les questions agricoles. Veux-tu savoir comment on cultive l'endive?