Mine de rien, sans que cela fasse les manchettes, le marché québécois du travail a vécu d'importantes transformations depuis le début de la décennie. Certains de ces changements, en une période de temps relativement courte, sont tellement considérables qu'il n'est pas exagéré de parler de petites révolutions.

C'est ce qui ressort d'une nouvelle série de données publiées hier par l'Institut de la statistique du Québec (ISQ).

Première constatation: Liberté 55, oublions ça, du moins pour un grand nombre de travailleurs. Entre 2000 et 2009, l'économie québécoise, bonnes et mauvaises années confondues, a créé 441 000 emplois. De ce nombre, près des deux tiers, soit 271 000 emplois, sont allés à des travailleurs âgés de 55 ans et plus. Ces chiffres sont d'autant plus renversants que les 55 ans et plus ne comptent que pour 15% de la population active. Calculé autrement, le nombre d'emplois occupés par ce groupe de travailleurs a augmenté de 83% en neuf ans (l'augmentation moyenne au Québec a été de 13%).

Tous les spécialistes du marché du travail sont au courant de cette tendance. Les travailleurs âgés sont de plus en plus nombreux à différer la date de leur retraite. Toutes sortes de raisons peuvent expliquer cela: bon état de santé et goût de continuer, peur de tourner en rond dans la maison, employeurs plus compréhensifs, besoins financiers. Les chiffres de l'ISQ montrent à quel point, sur une longue période, le phénomène est important; aucune autre catégorie de travailleurs, et de loin, n'a gagné autant d'emplois.

L'étude montre aussi que l'arrivée des femmes sur le marché du travail se poursuit vigoureusement. Ainsi, toujours entre 2000 et 2009, l'emploi a augmenté de 7% chez les hommes, mais de 20%, trois fois plus vite, chez les femmes. Les femmes occupent maintenant 48% des emplois au Québec et, à ce rythme, elles pourraient devenir majoritaires d'ici quelques années.

Non seulement les femmes sont-elles plus nombreuses, mais elles occupent de plus en plus d'emplois de qualité. Toujours pendant la période étudiée, le salaire hebdomadaire moyen chez les hommes est passé de 666$ à 833$, en hausse de 25%. Les chiffres correspondants pour les femmes sont 483$ et 643$, une augmentation de 33%. Le rattrapage est bien réel, mais on ne peut pas conclure qu'elles atteindront pour autant la parité, pour la bonne raison qu'elles travaillent en moyenne cinq heures par semaine de moins que les hommes. Le salaire horaire moyen, au Québec, est de 21$. Même à salaire égal, cinq heures de moins, cela représente une différence de plus de 100$ par semaine.

Le fait demeure que les salaires des femmes, dans l'ensemble, augmentent sensiblement plus vite que ceux des hommes. Cela s'explique en bonne partie par la présence majoritaire des filles dans pratiquement toutes les facultés universitaires. L'écart de la rémunération a donc des chances de s'amoindrir avec le temps, à mesure que les jeunes diplômées arriveront sur le marché du travail.

De plus, comme il fallait s'y attendre, la transition du marché du travail vers le secteur des services apparaît clairement (en fait, elle saute aux yeux) quand on regarde les chiffres sur une longue période. Depuis neuf ans, le secteur manufacturier québécois a perdu 4% de ses emplois; en même temps, les emplois dans le secteur des services ont augmenté de 19%. C'est une excellente nouvelle.

Quand on pense au secteur des services, la première image qui vient à l'esprit est probablement celle de petits emplois dans le commerce de détail, la restauration, l'hôtellerie. Rien n'est plus trompeur. Tous ces secteurs, ensemble, représentent à peine 29% des emplois dans les services, et ce n'est pas là que ce sont créés le plus d'emplois.

Par contre, des secteurs où on trouve beaucoup d'emplois bien rémunérés ont connu des hausses importantes: création de 80 000 emplois (en hausse de 40%) dans les services professionnels, scientifiques et techniques, 33 000 (hausse de 30%), dans les services aux entreprises, 44 000 nouveaux emplois (hausse de 24%) dans la finance et l'assurance.

Enfin, toutes proportions gardées, c'est Lanaudière qui arrive en tête du classement régional avec un gain de 51 000 emplois, en hausse de 28%. Mais ce chiffre est artificiel. Ces emplois sont occupés par des banlieusards qui habitent le sud de Lanaudière mais travaillent à Montréal (les données sur la population active sont basées sur le lieu de résidence, pas sur le lieu de travail). À l'autre bout de l'échelle, la région la plus défavorisée est le Saguenay-Lac-Saint-Jean qui, au net, a perdu 2000 emplois entre 2000 et 2009. Certes, ce chiffre représente à peine 1,3% de la population active. Mais une région qui ne parvient pas à créer le moindre emploi en neuf ans a manifestement un problème sur les bras.