En Chine, de plus en plus d'ouvriers réclament de meilleures conditions de travail. La forte augmentation salariale consentie par le géant Honda, la semaine dernière, indique ce qui attend l'industrie chinoise.

Certains ont déjà comparé le travailleur chinois à une petite usine: grosse production, mais sans la fumée gênante. Attention aux apparences, cependant, car ça chauffe dans «l'usine du monde».

Honda en sait quelque chose. Après une grève de plusieurs jours, qui a paralysé sa production en Chine, le groupe japonais a repris ses activités à la fin de la semaine à Foshan, dans la province du Guangdong. Mais Honda a dû y mettre le prix, en accordant une hausse de salaire de 24% aux employés.

En bloquant auparavant l'usine, qui fournit les transmissions des modèles Honda construits en Chine, les grévistes ont frappé dans le mille. Car le géant japonais a été forcé d'arrêter la production dans ses quatre usines en Chine, premier marché automobile mondial.

Ce conflit de travail est réglé, mais il n'est pas un cas isolé.

Inspirés par les ouvriers de Honda, les salariés d'une usine du sud-coréen Hyundai, près de Pékin, ont aussi cessé le travail il y a une semaine. Et ils ont obtenu gain de cause.

Puis, coup de théâtre mercredi: le taïwanais Hon Hai Precision Industry a promis d'augmenter de 30% les salaires des ouvriers qui fabriquent des iPhone d'Apple sur son site de Foxconn, dans le sud de la Chine. L'affaire a eu des échos partout dans le monde car elle fait suite à une série de morts très médiatisées chez Foxconn, apparemment des suicides, qui ont terni la réputation du fabricant de composants électroniques, en plus d'ébranler le patron d'Apple, Steve Jobs.

Bref, l'industrie chinoise ne ronronne plus comme un chaton inoffensif. Le bruit qu'on entend ces jours-ci ne provient pas d'une machinerie bien huilée, mais de la bouche des ouvriers en colère.

D'autres cas

De l'avis des experts, les cas Honda et Foxconn pourraient se multiplier dans toute l'industrie chinoise.

L'année dernière, les salaires ont été gelés à cause de la crise. Mais en 2010, la croissance sera supérieure à 10% et l'inflation devrait s'accélérer, selon des prévisions.

«Il y a une immense pression sur les salaires. L'inflation est de retour et les prix de l'immobilier (...) flambent. Les travailleurs veulent que cette hausse soit répercutée sur leurs salaires», écrit la firme new-yorkaise IHS Global Insight.

«Les investisseurs étrangers ont fait l'erreur de croire que la Chine dispose d'une force de travail docile», a affirmé à l'AFP Arthur Kroeber, économiste chez Dragonmics. «Or, la force de travail chinoise n'a rien d'intrinsèquement docile.»

Par le passé, la Chine a d'ailleurs connu des tensions ouvrières. Mais, cette fois, c'est différent. Car les travailleurs ont maintenant l'appui des autorités du pays.

La semaine dernière, le China Daily a commenté le conflit chez Honda en appelant à une réforme du droit du travail. Normalement, les médias officiels en Chine ne parlent jamais ou très peu des grèves.

Parallèlement, un influent dirigeant de la province du Guangdong a réclamé «une harmonie entre salariés et employeurs». En mars, sa province a donné l'exemple, en relevant de 20% les salaires de ses fonctionnaires.

Un malaise profond

Le malaise sur le marché du travail en Chine est profond.

Les travailleurs ont peu profité de l'essor économique du pays. La Fédération des syndicats chinois a récemment relevé que la part de l'économie consacrée aux salaires a connu un pic à 56% en 1983, avant de décliner à 37% en 2005. La proportion aurait peu changé depuis, selon les syndicats.

De plus, la Chine est finalement rattrapée par sa politique de l'enfant unique, qui date de la fin des années 70. La population des travailleurs de 20 à 30 ans a diminué de plus de 20% au cours de la dernière décennie, privant l'industrie d'une main-d'oeuvre jeune et qualifiée, selon la firme américaine CEIC. On parle même de pénurie de travailleurs dans certains secteurs.

En somme, on assiste peut-être aux prémices de grands changements dans l'empire du Milieu. Et tout laisse croire que «Made in China» ne sera plus synonyme d'«aubaine» pour les Occidentaux dans un avenir plus ou moins éloigné.

La Chine a réussi l'impossible en forgeant une grande puissance économique en l'espace de trois décennies. Mais les ouvriers de l'atelier du monde ont le sentiment de ne pas profiter du miracle chinois autant qu'ils n'y contribuent.