«Moi, ma priorité, c'est l'économie. Tout le reste est accessoire (everything else, these are sideshows).»

C'est par ce jugement sans appel que le premier ministre Stephen Harper a contourné, lundi, devant un groupe de jeunes, la controverse entourant la décision de son gouvernement de ne plus financer les avortements dans les pays en voie de développement.

Le Canada favorisera plutôt des programmes non controversés d'aide aux femmes, comme l'accès à l'eau potable, a ajouté M. Harper, soucieux de liquider rapidement la question.

L'accès à l'eau potable... On ne voit pas très bien le lien entre l'eau potable et l'avortement dans les cas de grossesse à risque, d'inceste ou de viol, mais de toute façon cela n'intéresse pas Stephen Harper.

Ce ne sont que des sideshows ! Comme l'environnement, comme le sort des prisonniers afghans, comme la censure de documents publics par Ottawa et comme le manque endémique de transparence de ce gouvernement. Comme la nouvelle carte électorale canadienne ou comme l'avenir de l'actuelle gouverneure générale.

Des dossiers accessoires dont les médias peuvent débattre si cela leur chante, mais M. Harper, lui, a plus important à faire. Comme de mettre sa cape de héros de la haute finance pour sauver les banques d'une taxe «injuste».

C'est pourtant sa nouvelle politique sur les programmes de santé des femmes dans les pays pauvres, que le Canada refuse désormais de financer s'ils permettent de pratiquer des avortements, qui a rallumé un débat pratiquement éteint depuis des lustres ici.

Stephen Harper fait néanmoins comme si cela ne le concernait pas. Pas question de revenir sur la question de l'avortement au Canada, répète-t-il depuis qu'il est chef conservateur (depuis 2004) chaque fois que le sujet revient sur le tapis.

Cela dit, rien n'empêche, à l'occasion, ses députés de présenter des projets de loi privés contre l'avortement, de lancer des pétitions en ce sens, de militer ouvertement dans des groupes évangélistes. Rien n'empêche non plus le gouvernement Harper d'être contre l'avortement à l'étranger.

Ce faisant, les conservateurs satisfont leurs militants, ils mobilisent leur base électorale sans toutefois faire de gestes trop radicaux ici. Et ils laissent à d'autres le soin de raviver les débats.

Les conservateurs ont suivi la même recette pour la peine de mort. Pas question de relancer le débat au Canada, mais le gouvernement Harper a néanmoins décidé qu'il n'interviendrait plus à l'étranger pour rapatrier les ressortissants canadiens condamnés à la peine de mort.

Les partisans de la peine de mort sont satisfaits de cette politique «ferme» à l'étranger, et le gouvernement ne s'aventure pas trop loin dans ce dossier explosif au pays. C'est tout bénéfice. Bien des Canadiens, généralement opposés à la peine de mort au Canada, trouvent par ailleurs raisonnable que leur gouvernement ne fasse pas des pieds et des mains pour sortir du couloir de la mort un compatriote qui a commis un meurtre à l'étranger.

C'est la méthode Harper.

En fait, c'est la méthode utilisée par M. Harper, mais ce n'est pas lui qui l'a inventée. Il l'a empruntée aux républicains. Il suit l'évangile électoral selon saint Karl, c'est-à-dire Karl Rove, le «cerveau» stratégique de George W. Bush.

Aux États-Unis, on appelle cela des wedge issues, ou comment utiliser des enjeux chauds pour mobiliser sa base et créer une brèche dans le camp ennemi.

À la présidentielle de 2004, W a sauvé sa présidence en remportant des États où on avait ajouté, au vote à la présidence, des référendums sur les mariages gais et sur la légalisation de la marijuana.

Une telle stratégie peut-elle fonctionner ici, avec l'avortement, par exemple? Cela reste à voir mais, chose certaine, les conservateurs remontent au créneau, ce qui assure des votes et beaucoup d'argent dans les coffres du parti de M. Harper en vue des prochaines élections.

Contrairement aux partis de l'opposition, divisés sur l'aile centre gauche de l'échiquier politique canadien, les conservateurs sont de plus en plus soudés à droite.

Les libéraux, en particulier, ne forment pas un bloc monolithique lorsqu'il est question d'enjeux moraux, comme l'avortement.

Michael Ignatieff l'a douloureusement constaté, en mars dernier, lorsque 17 de ses propres députés ont voté contre une motion libérale (ou se sont abstenus ou étaient absents) demandant au gouvernement Harper de maintenir le financement des avortements dans les programmes d'aide aux femmes à l'étranger.

Il est peut-être risqué pour Stephen Harper de jouer avec de la nitroglycérine politique, tel l'avortement, dans l'espoir de soutirer des votes, mais il n'est, après tout, qu'à 11 sièges de la majorité.

Et vu l'état actuel de l'opposition libérale, il ne court pas grand risque à forcer un peu le jeu.