Il y a la version optimiste, selon laquelle la marée noire qui s'étend dans le golfe du Mexique marque un tournant qui forcera les États à mieux surveiller les forages en mer - quitte à mettre la pédale douce sur l'extraction du pétrole du fond des océans.

Mais il y a aussi la version pessimiste, selon laquelle, après quelques changements cosmétiques, notre dépendance au pétrole aura fatalement raison de toutes les leçons que l'on pourrait tirer de l'explosion de la plateforme Deepwater Horizon.

 

Il est encore tôt pour juger qui, des pessimistes ou des optimistes, a la lecture la plus juste de la réalité. Mais la balance penche un peu plus en faveur des premiers.

Plus de trois semaines après l'accident, le puits éventré continue de cracher ses 800 000 litres de brut quotidiens dans les eaux du golfe du Mexique. On peine toujours à colmater la brèche. Et la nappe de pétrole qui dérive vers le littoral est en voie de causer la pire catastrophe écologique de l'histoire des États-Unis.

Pourtant, la réponse politique à cette catastrophe reste ambiguë. L'administration Obama a bel et bien annoncé un moratoire sur les nouveaux projets de forage en mer. Elle a réécrit son projet de loi sur l'énergie et le climat, pour donner un droit de veto aux États côtiers sur l'exploration pétrolière à moins de 120 km de leurs berges. Et elle a annoncé son intention de scinder l'agence responsable des permis de forage, le fameux Minerals Management Service, qui a été souvent critiqué pour le laxisme de ses décisions.

Cette agence est chargée de maximiser les retombées économiques de la production pétrolière, tout en veillant à la sécurité des forages. En séparant les deux fonctions, le gouvernement pense pouvoir mettre fin à ce conflit d'intérêts, gros comme une plateforme de forage.

Sauf que depuis l'accident, pendant que des milliers de tonnes de pétrole menaçaient le littoral et les bayous, cette agence a continué à remettre des permis, comme si rien ne s'était passé. En trois semaines, elle a accordé 27 dérogations permettant aux pétrolières d'échapper à des études environnementales poussées. C'est grâce à une dérogation du même genre que British Petroleum a pu aller de l'avant avec son projet Deepwater Horizon...

C'est le Center for Biological Diversity qui a mis la main sur les 27 dérogations. Aux yeux d'un des chercheurs du centre, William Snape, ces décisions consternantes reflètent toute l'ambivalence de Washington devant la marée noire. «L'administration Obama change constamment d'opinion, ses actions contredisent les discours», déplore-t-il.

Cette culture de complaisance à l'égard des pétrolières est si incrustée qu'on voit mal comment elle pourrait disparaître grâce à une simple réorganisation administrative. Les écologistes réclament une enquête sur le fonctionnement de l'agence - mais pour l'instant, rien n'indique qu'ils seront entendus.

La réaction est tout aussi ambiguë au Canada. D'un côté, l'Office national de l'énergie, responsable des projets d'exploration pétrolière dans l'Arctique, s'est lancé dans une révision des procédures de sécurité, dans la foulée de la catastrophe du golfe du Mexique.

Mais en même temps, cette semaine même, la société Chevron a entrepris un nouveau projet de forage à 2,5 km sous le niveau de la mer - 1 km plus profond que Deepwater Horizon! -, au large de Terre-Neuve.

L'office provincial responsable des projets pétroliers en mer assure que ce projet est doté d'un triple mécanisme de sécurité. Mais Deepwater Horizon possédait aussi ses mécanismes de sécurité, qui ont lamentablement flanché. Le simple bon sens dicte que tant que l'on ne saura pas précisément pourquoi, il aurait été préférable de mettre tous les nouveaux projets sur la glace.

Si on ne le fait pas, c'est que notre soif de pétrole prime sur la peur d'une nouvelle marée noire. «Notre civilisation vit à base de pétrole, et ça va continuer comme ça pendant les 50 prochaines années», prédit le géophysicien Benoît Beauchamp, de l'Université de Calgary.

Si ce pétrole ne vient pas du fond de la mer, eh bien, on ira le chercher dans les sables bitumineux de l'Alberta, rappelle-t-il. Déjà, certaines voix suggèrent de profiter de la catastrophe du golfe du Mexique pour convaincre les États-Unis des charmes du pétrole albertain - qui n'est pas vraiment inoffensif sur le plan écologique...

«La nouvelle catastrophe est le signe qu'il est temps de renoncer au pétrole comme source d'énergie», a clamé l'écologiste américain Wesley Warren au lendemain du 20 avril. Les réactions ambiguës à la catastrophe du golfe du Mexique indiquent qu'on en est encore bien loin.