Lancé dans l'euphorie générale en 1999, l'euro apparaît, sitôt confronté à sa première crise majeure, comme un bateau troué.

De là à prédire un naufrage, il n'y a qu'un pas, et c'est ce que plusieurs économistes prédisent déjà.

Pourtant, il est loin d'être certain que l'euro disparaisse aussi facilement. Pour continuer l'analogie maritime, il est arrivé des milliers de fois que des vaisseaux faisant eau réussissent quand même à arriver à bon port. Pour l'équipage, c'est exigeant: il faut colmater, écoper, pomper. Mais au bout du compte, ces efforts sont récompensés.

C'est un peu ce qui arrive aux Européens.

Comment en est-on arrivé là? L'euro peut-il éviter le naufrage?

L'euro est considéré à juste titre comme un modèle d'intégration monétaire. Voilà 12 pays aussi différents que la Finlande et le Portugal, un géant comme l'Allemagne et un poids plume comme le Luxembourg, et qui réussissent à créer une monnaie commune, et même à articuler, à coups de compromis, une politique monétaire commune. L'ampleur du défi est sans précédent dans l'histoire de l'humanité.

Au-delà de ses hauts et de ses bas (l'euro a connu un creux de 83 cents américains à l'automne 2000, et un pic de 1,60$ à l'été 2008, juste avant la crise), la nouvelle monnaie a prouvé, après 11 ans d'existence, que le projet n'était pas du tout aussi irréaliste que le prédisaient les eurosceptiques.

Mais ce modèle a un vice caché.

Pour adhérer à la zone euro, un pays devait, entre autres conditions, se plier à deux critères inscrits au traité de Maastricht: la dette publique ne pourra pas dépasser 60% du produit intérieur brut (PIB), et le déficit budgétaire ne pourra pas dépasser 3% du PIB. Ces deux conditions visaient évidemment à empêcher un pays membre de vivre au-dessus de ses moyens, ce qui risquerait de précipiter tous les autres dans le fossé.

Facile à dire, plus difficile à faire.

L'encre du traité était à peine sèche que certains pays membres (y compris les deux locomotives de l'Europe, l'Allemagne et la France) jouaient déjà au yo-yo avec les critères. Mais le pire élève de la classe est la Grèce. Avec une dette publique représentant 110% du PIB, et un déficit de 12%, la Grèce se moque ouvertement de Maastricht. Pire: les Grecs ont tenté de camoufler la catastrophe avec des documents budgétaires trafiqués.

C'est ce qui a provoqué la crise. On peut se demander pourquoi un pays relativement peu important (le PIB de la Grèce ne représente que 2,6% du PIB de la zone euro) peut déclencher un cataclysme d'une telle ampleur.

C'est qu'il a fallu allonger 110 milliards d'euros pour aider la Grèce à se sortir du trou. Il va de soi qu'on lui a imposé des conditions rigoureuses pour la forcer à faire le ménage. Cela ne sera pas facile; les puissants syndicats grecs sont déjà sur le sentier de la guerre. Pour le moment, il n'est pas question d'expulser la Grèce de la zone euro. Mais si le pays ne fait pas ses devoirs, rien n'exclut une telle mesure, dans 18 mois, dans deux ans. Cela ne signifiera aucunement le naufrage de l'euro, au contraire.

D'autre part, trois autres pays de la zone euro, l'Irlande, le Portugal et l'Espagne, sont également aux prises avec un endettement excessif. Contrairement à la Grèce, ces trois pays sont davantage victimes de la crise financière que de gestion déficiente. N'empêche: eux aussi vont avoir besoin d'aide.

En décidant, il y a deux jours, de créer un fonds d'urgence de 720 milliards d'euros, les Européens ont démontré à quel point ils sont déterminés à colmater les brèches dans la coque du navire. Leur message est clair, et il faut les prendre au sérieux.

La mise sur pied de l'euro a nécessité des efforts considérables, des compromis douloureux, des tonnes de bonne volonté. Aujourd'hui, la valeur des euros en circulation dépasse celle des dollars américains. On n'efface pas cela du jour au lendemain.

Enfin, cette crise servira peut-être de leçon aux Européens. C'est bien beau d'établir des critères, encore faut-il les faire respecter. C'est bien beau d'avoir une politique monétaire commune, mais cela ne sert pas à grand-chose si on fonctionne avec des politiques budgétaires et fiscales différentes. Plus les pays de la zone euro apprendront à harmoniser cela, plus ils s'approcheront d'un mouillage à bon port.