Depuis celle de Séville qui reprenait en 1992 un continuum interrompu en 1970, les expositions universelles n'avaient plus ni la cote populaire, ni la faveur médiatique, ni la démesure des expos de jadis. On peut voir un coupable possible dans le développement de l'internet, ce média en forme d'exposition universelle permanente.

Mais voilà: c'était oublier que les grandes expos de l'Histoire ont servi aussi de métaphores politiques à usage intérieur ou extérieur, selon les cas. Ainsi, Expo 67 ne déclencha-t-elle pas un grand bond en avant politique, social, culturel, qui acheva de métamorphoser une nation déjà entrée en révolution, fût-elle tranquille?

 

Cette fonction politique demeure pertinente.

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Deux jours après l'ouverture de la grande foire de Shanghai, on sait déjà que la démesure y sera... chinoise. Le pavillon national est un monument de 63 mètres de haut visible à des kilomètres; en comptant les infrastructures, l'exposition engloutira 58 milliards US; quelque 189 pays y sont représentés, dont l'Iran, la Birmanie et même la Corée du Nord, les trois pavillons étant placés ensemble dans une zone qu'on a vite rebaptisée l'Axe du Mal!

On sait aussi que la population locale utilisera Shanghai de la même façon que nous nous sommes servis d'Expo 67. Des 70 à 100 millions de visiteurs attendus (un record de tous les temps), 95% seront des Chinois qui, ne pouvant pas courir le monde, fréquenteront ce monde qui vient à eux; dès l'ouverture, samedi, ils accouraient déjà en masse.

On sait enfin que Pékin fait là une déclaration solennelle d'ouverture portant le même sous-texte que celui des Jeux olympiques de 2008: cette ouverture est réelle, mais limitée. Elle est celle d'un régime récemment passé du statut de totalitaire à celui d'autoritaire musclé (l'État n'assassine plus ses citoyens par millions, comme sous Mao, mais un à la fois!). Elle est celle d'un régime qui n'entend pas aller plus loin autrement qu'à petits pas, reculs sporadiques inclus.

Surtout, la déclaration de Shanghai en est une d'extraordinaire puissance, faite dans une ville de 19 millions d'habitants qui sera bientôt le centre du monde, comme le furent Paris puis Londres, et comme l'est encore New York pour un temps... le temps que prendra Shanghai et la Chine tout entière à occuper les dernières terres importantes. Ce sont celles de la grande innovation scientifique et du leadership culturel planétaire, qui appartiennent toujours aux États-Unis.

Or, cette conquête-là aussi, on la voit venir rapidement à l'Est.

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Ultime message de Shanghai, enfin, dont l'exposition est placée sur le thème «Meilleure ville, meilleure vie»: celui de l'importance croissante de la ville, des villes, de ce qui deviendra presque des villes-États.

En ce domaine également, la Chine défriche: entre 1960 et 2008, la proportion de la population vivant en ville a triplé; il y aura dans quelques années un milliard d'urbains au pays!

Vivre en ville demandera en ce siècle une nouvelle expertise. Et il n'est pas difficile de deviner quelle nation rédigera le mode d'emploi.