Les chiffres sont imparables: la désindustrialisation s'accélère dans les pays riches, qui font désormais moins de la moitié de la production manufacturière mondiale.

Les pays avancés n'ont plus droit au titre «Monde industrialisé». Cette étiquette appartient maintenant aux pays émergents qui, menés par la Chine, sont les grands gagnants de la reprise économique mondiale.

 

C'est du moins un constat d'une étude réalisée par l'assureur européen Euler Hermes, qui dresse un bilan-choc des effets de la crise financière.

En fait, selon cette étude aux conclusions particulièrement inquiétantes pour l'Europe, jamais le centre de gravité de la planète économique n'aura bougé autant en si peu de temps.

«Pour la première fois, les pays avancés fournissent moins de 50% de la production mondiale», explique Karine Berger, économiste en chef chez Hermès. Et de 2007 à 2011, elle estime que la production aura augmenté de 29% en Asie, tandis qu'elle aura reculé de 2% en Europe.

L'impact de la crise

Euler Hermes, ce n'est pas n'importe qui. Cette filiale du géant financier allemand Allianz est le plus important assureur de crédit du monde, comptant 6000 employés répartis dans 50 pays.

Or, la crise financière, nous dit cette firme, a non seulement coûté cher aux pays riches, elle a aussi amputé une partie de leurs capacités productives et commerciales.

Tant et si bien qu'aujour-d'hui, les pays émergents regroupent 52% de la production industrielle mondiale, contre 48% pour les pays avancés. La part de marché de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) a reculé de 2% dans le volume du commerce mondial et de près de 5% dans la production industrielle, souligne Euler Hermes.

Le déplacement des forces manufacturières est d'ailleurs visible sur le terrain: depuis 2008, l'industrie a perdu plus de 15% de ses effectifs aux États-Unis, 10% en France et presque 5% en Europe. Près de 10 millions de postes ont disparu dans le monde développé en 2009 seulement.

Avant la débâcle du courtier Lehman Brothers, l'Occident avait pourtant réussi à garder sa part du gâteau, et ce, depuis 2003.

Le plus inquiétant, c'est que la crise est déjà de l'histoire ancienne dans plusieurs régions d'Asie. Pas dans les pays développés et surtout en Europe, où les déficits publics - faut-il rappeler les problèmes de la Grèce et du Portugal - ont plongé le Vieux Continent en crise.

Dans ce contexte difficile, les deux principaux moteurs de la reprise dans notre coin du monde, le restockage des entreprises et les plans de relance gouvernementaux, risquent de manquer de carburant au fil des mois, freinant d'autant les progrès de l'économie, prévient Hermès.

L'automobile

S'il y a un signe concret du recentrage industriel de la planète, c'est bien dans le secteur automobile.

La semaine dernière, le président de Daimler AG, Dieter Zetsche, a fait cette déclaration sans doute dérangeante pour beaucoup de gens: la Chine, a-t-il dit, «est rapidement en train de devenir le moteur de notre industrie».

Étant donné que les ventes de Mercedes-Benz ont bondi de 112% dans l'empire du Milieu au premier trimestre 2010, on comprend le pronostic du constructeur allemand.

Les autres marques de voitures de luxe, que ce soit BMW, Rolls-Royce ou Ferrari (Fiat), rapportent également des ventes en forte hausse en Chine - le plus important marché automobile du monde depuis l'an dernier.

Selon le géant Honda, les ventes totales d'automobiles en Chine pourraient encore grimper de plus de 10% cette année, voire de 17%, renchérissent des sources chinoises.

Concrètement, cette forte demande se traduit par des investissements industriels massifs: Volkswagen injectera 6 milliards de dollars dans ses usines en Chine d'ici 2012, alors que Nissan va accroître sa capacité de production de 70%! Le japonais Toyota et le coréen Hyundai ont aussi annoncé des investissements majeurs en sol chinois.

Avec ce mouvement du balancier industriel et commercial, même des symboles occidentaux voient désormais le monde autrement.

La semaine dernière, le patron de la légendaire marque Rolls-Royce (maintenant détenue par l'allemand BMW) y sont allés de cette remarque: «En matière de ventes, la Chine deviendra cette année plus importante que le Royaume-Uni, notre marché domestique.»

Les Rolls-Royce plus populaires auprès des Chinois que des «Brits»... Dans les pubs de Goodwood, lieu d'assemblage des belles anglaises au sud de Londres, certains ont dû avaler leur bière de travers en apprenant cela.