«Demander au Portugal de donner de l'argent à la Grèce, c'est comme demander au déguenillé d'aider le nu.»

C'est ainsi que la presse portugaise (dans un éditorial du Diario Economico) a réagi, la semaine dernière, après que l'Union européenne eut demandé à ses membres une contribution pour venir en aide à la Grèce.

Non seulement cela en dit long sur le peu de confiance des Portugais à l'égard de leur propre situation financière, ce commentaire témoigne aussi du sentiment de vulnérabilité qui s'est emparé de ce petit pays de la péninsule ibérique.

Alors que la crise financière grecque continue de s'aggraver, on craint que le Portugal soit le prochain éclopé de la zone euro à éprouver de graves difficultés budgétaires, selon des spécialistes.

«Le prochain sur le radar, c'est le Portugal», affirment deux réputés économistes, Peter Boone et Simon Johnson, respectivement chercheur à la London School of Economics et ex-économiste en chef du Fonds monétaire international (FMI). Le pays «a trop dépensé au cours des dernières années», déplorent les deux experts dans une note économique.

Leur prédiction trouve d'ailleurs un écho sur les marchés financiers, car l'aggravation de la crise grecque a fait monter en flèche les taux des obligations portugaises jeudi dernier - un indice auquel les spéculateurs ont pris goût au pays du porto. Un mauvais présage.

Déficits et dettes

La raison de cet acharnement est simple. La crise financière mondiale a exposé deux faiblesses du Portugal: des déficits élevés et une économie chroniquement anémique.

Le déficit public portugais s'est établi à 9,4% du PIB (produit intérieur brut) en 2009, selon l'Institut national des statistiques. C'est plus de trois fois le niveau normalement toléré par les pays de la zone euro.

Quant à la dette, elle devrait, selon Lisbonne, s'alourdir cette année à 86% du PIB, soit plus de 142 milliards, puis à 91% du PIB en 2012, avant d'amorcer une légère réduction en 2013. Faut-il rappeler qu'officiellement, le fameux «pacte de stabilité» européen limite la dette des pays de la zone euro à 60% de leur économie?

Or, ce qui inquiète surtout les marchés, c'est que la dette portugaise est largement financée par les étrangers, notent MM. Boone et Johnson. Comme la Grèce, le Portugal n'a même pas les moyens de payer les intérêts de sa dette; en fait, le gouvernement finance de nouveau ses emprunts chaque année pour garder la tête hors de l'eau.

Prisonnier de cette spirale, l'État portugais aura besoin d'au moins 24 milliards d'euros (32 milliards CAN) pour se financer en 2010, selon des sources officielles. Une somme énorme pour un petit pays.

Croissance amorphe

Tout cela ne serait pas si mauvais si l'économie montrait des signes de reprise solides. Mais on est loin de ça.

La Banque centrale du Portugal vient de réviser à la baisse ses prévisions de croissance pour 2010 et 2011, estimant que la relance pourrait pâtir de la politique d'austérité mise en oeuvre par le gouvernement, pourtant jugée «cruciale» pour redresser les déficits.

Ainsi, l'économie devrait croître d'un maigre 0,4% en 2010 et de 0,8% en 2011. Si elles se confirment, ces prévisions rendront encore plus difficile l'objectif de Lisbonne de rééquilibrer les comptes publics.

Le gouvernement socialiste portugais s'est récemment engagé à ramener son déficit sous les 3% en 2013, grâce à une réduction considérable des dépenses publiques. Le programme prévoit notamment un gel des salaires des fonctionnaires pendant quatre ans et un plafonnement de l'aide sociale.

Ce plan est louable, du moins aux yeux du FMI, mais il se heurte à un obstacle important. «Le principal problème du Portugal est que, comme la Grèce, l'Irlande et l'Espagne, le gouvernement est aux prises avec un taux de change surévalué», affirment MM. Boone et Johnson au sujet de l'euro.

Qui plus est, «uniquement pour payer les intérêts de la dette, à un taux optimiste de 5%, le pays devrait avoir un surplus budgétaire de 5,4% (de son PIB) à compter de 2012», ajoutent les deux spécialistes. Autrement dit, les Portugais auront besoin d'aide - ou d'un miracle - pour s'en sortir.

En lisant ces chiffres, on comprend mieux la presse portugaise. On craint comme la peste la crise grecque, car celle-ci risque de contaminer les pays les plus vulnérables de l'Europe. Or, un Portugal économiquement dénudé est mal équipé pour résister à ce fléau.