Juste comme Tiger Woods commençait à s'extirper du trou fangeux qu'il avait lui-même creusé, voilà qu'avec l'aide de Nike, il y replonge allègrement. Et repousse au passage les limites du mauvais goût.

Le spot publicitaire en noir et blanc lancé par Nike mercredi soir, à moins de 24 heures du coup d'envoi du Tournoi des Maîtres, est un chef-d'oeuvre de cynisme manipulateur. Un clip de 30 secondes qui démontre qu'il n'y a rien de sacré, pas même la mémoire d'un père, dans la préservation des intérêts commerciaux du golfeur et de son commanditaire. Swoosh, vous dites? Ouache serait sans doute plus approprié.

Pour ceux qui n'ont pas allumé leur télé depuis les deux derniers jours, la pub consiste en un long plan rapproché de Woods, le visage triste et immobile, le logo de Nike bien en évidence sur sa casquette et son chandail. La voix de son père Earl, mort en 2006, s'adresse à lui, depuis la tombe: «Je veux comprendre à quoi tu pensais; je veux comprendre quels sont tes sentiments et si tu as appris quelque chose.»

Les propos d'Earl Woods semblent porter sur les histoires d'infidélité de son fils. Ce n'est évidemment pas le cas. L'extrait audio provient apparemment d'un DVD datant de 2004, qui parlait de tout autre chose.

Je ne suis pas puritain. Allez me relire: je n'ai pas exactement déchiré ma chemise quand les multiples affaires extraconjugales de Woods ont été mises au jour, l'automne dernier.

En plus, les remontrances qu'a adressées à Woods le grand patron du Augusta National Golf Club, Billy Payne, mercredi après-midi, avaient subitement rendu le golfeur plus sympathique à mes yeux. Quiconque est critiqué par un old boys' club trop rétrograde pour accepter les femmes en son sein ne peut pas être si terrible, après tout.

C'était avant que Woods, qui avait pourtant su trouver le ton juste lors de sa conférence de presse de lundi, se serve de son père mort pour rescaper une image de marque et vendre des bâtons, des casquettes et des souliers. Avant qu'il ne pousse le bouchon dangereusement loin, au point de frôler l'indécence.

Le pire, c'est que ça risque de marcher. Le spot est taillé sur mesure pour la société américaine, me faisait remarquer hier Patrick Beauduin, vice-président principal, créativité, chez Cossette. «C'est typiquement américain, ça évoque le confessionnal, avec ce père qui corrige le fils qui a fauté. L'image aura une résonance dans l'Amérique profonde, comme l'image de George W. Bush qui se fait engueuler par son père alors qu'il a 40 ans. C'est un ressort émotif, spirituel et culturel très puissant.»

Nike, dont le logo apparaît sur un fond noir à la fin de la pub, a aussi eu l'intelligence de ne pas y accoler son célèbre slogan «Just Do It», qui aurait eu des échos pour le moins équivoques dans le contexte. «C'est extrêmement bien fait. Dans l'histoire de la publicité, ce truc va faire date», estime M.Beauduin.

Peut-être. Mais ça ne fait que renforcer l'impression que la réhabilitation de Tiger Woods n'est que du cinéma, un spectacle son et lumière bien léché et parfaitement scénarisé, dont la seule finalité est de s'assurer que la machine à imprimer de l'argent qu'était jusqu'à tout récemment Tiger inc. recommence au plus sacrant à produire des dividendes.

«Quand il a fait sa première sortie publique, en février, il a dit qu'il allait prendre le temps d'organiser ses affaires. Mais à peine un mois plus tard, le voici de retour, après avoir tourné un spot publicitaire, note le spécialiste du marketing sportif Jean Gosselin. J'ai un peu l'impression de m'être fait mener en bateau.» Vous n'êtes pas le seul, mon cher ami.

Malheureusement pour Woods, par ailleurs brillant en première ronde à Augusta, le cynisme engendre le cynisme. Et nous pousse à croire que le petit futé qui a parodié hier l'annonce de Nike, remplaçant la voix d'Earl Woods par celle de Morgan Freeman, a visé en plein dans le mille.

«Réhabilité? Laissez-moi voir, dit l'acteur dans cet extrait du dialogue de The Shawshank Redemption. Je n'ai vraiment aucune idée de ce que ça veut dire. Que voulez-vous vraiment savoir? Suis-je désolé de ce que j'ai fait? Réhabilité, c'est un mot qui ne veut rien dire. Parce que pour vous dire la vérité, I don't give a shit.»