Le titre de cette chronique pourrait annoncer une réflexion philosophique d'inspiration pascale. Mais non. C'est une autre chronique sur le budget Bachand et les passions qu'il a déchaînées.

Ce budget a choqué bien des gens, qui digèrent mal les importantes hausses de taxes et qui se posent plein de questions. Toujours les mêmes. Pourquoi frapper les classes moyennes et épargner les riches? Pourquoi les citoyens casquent et pas les entreprises? Et surtout, pourquoi le gouvernement ne fait-il pas d'abord le ménage dans sa propre cour?

 

Toutes ces critiques, légitimes à bien des égards, ont un dénominateur commun. Elles reviennent toutes à dire: pourquoi moi et pas eux? Elles reposent toutes sur le désir profond que quelqu'un d'autre puisse payer la facture à notre place. Elles reposent toutes sur la même recherche éperdue d'une solution magique pour qu'on puisse venir à bout d'un déficit sérieux sans que ça fasse mal et sans que ça paraisse.

Le plus naïf de ces réflexes, c'est l'image de la «cour du gouvernement», un lieu mystérieux où des fonctionnaires fossilisés végètent dans d'obscures officines, et où un vigoureux ménage ferait apparaître des milliards. C'est un mythe. Oui, il y a du gaspillage, des problèmes de productivité, des structures inutiles, des contrats trop juteux. Il faut aller chercher tout cet argent. Mais ce sera très loin de suffire.

Le gros des dépenses du gouvernement va en salaires et en chèques aux citoyens. Le gros des budgets va à trois missions: la santé, l'éducation, la famille et les aînés. À elles trois, elles comptent pour 45 milliards, soit 72% des dépenses de programme. Avec un ménage trop vigoureux dans la fameuse cour du gouvernement, on ne pourra pas éviter de toucher aux programmes et aux services auxquels les contribuables mécontents du budget tiennent mordicus. Les compressions ne suffiront donc pas. Bref, la cour du gouvernement, c'est aussi la nôtre.

La seconde source d'indignation, c'est que les citoyens paieront 3,4 milliards en plus, les entreprises, à peine 796 millions. Est-ce injuste? Implicitement, on croit que l'économie se divise en deux blocs égaux, qui devraient partager l'effort 50-50. C'est faux. Au Québec, les salaires atteignent 167 milliards, les profits des entreprises, huit fois moins, 22 milliards. En outre, quand on taxe les entreprises, on ne fait pas nécessairement oeuvre d'équité: moins de profits, c'est moins d'argent pour les hausses salariales, ou pour les investissements qui permettent la création d'emplois.

On a enfin beaucoup critiqué le caractère régressif de la contribution santé. Tout le monde paiera 200$ en 2013, sauf les plus pauvres. Mais il faut tenir compte des autres mesures du budget, notamment le crédit d'impôt pour la solidarité, qui atténue le choc. Jusqu'à 30 000$ de revenu, les familles seront gagnantes. À 40 000$, par contre, elles paieront 125$ de plus dans trois ans. Cependant, cette même famille aura vu, en moyenne, ses revenus augmenter de 2450$ dans trois ans. On devrait épargner ces familles moins à l'aise. Mais il n'y a pas de quoi descendre dans la rue.

Le problème est en fait plus sérieux pour les classes moyennes: à 60 000$, une famille paiera 1044$ de plus, tandis que la ponction sera à peine plus élevée, 1402$, pour un revenu de 125 000$. C'est très agaçant. On devrait demander aux plus fortunés de faire leur effort. Au nom de l'équité. Mais ça ne changera presque rien, parce que les riches sont trop peu nombreux pour que ça fasse une différence. Il y a à peine 70 500 Québécois gagnant plus de 150 000$, 1,2% du total.

La morale? Si on veut des services, il faudra payer. Et l'autre que l'on cherche désespérément, il est devant nous, dans le miroir.