C'est la plus belle équipe du Québec. Quatrième aux derniers Jeux olympiques de Pékin. Les filles viennent de planter les Russes dans quatre épreuves sur cinq aux Trophies of the World. C'est la première fois de l'histoire de la nage synchro au Canada.

Elles sont 12. Elles s'entraînent à Pompano, en Floride. Douze filles magnifiques, de Chloée, le bébé à 18 ans, à Maripier, 27 ans. Celle qui nage le solo et le duo. Toutes ont le même objectif. Accumuler les podiums jusqu'aux Jeux olympiques de Londres en 2012. En passant par une Coupe du monde en Chine, une autre à New Delhi, par une tournée au Japon, par les Championnats FINA en Chine en juillet prochain et si possible et nécessaire, en passant sept ou huit mois en Europe avant les Jeux olympiques pour pouvoir se battre contre les grandes équipes européennes.

Ce sont des athlètes très haut de gamme. Leur régime de vie est spartiate. Elles quittent leur hôtel à 6h, quand il fait encore nuit, et plongent dans la piscine à 6h50. Tout de suite après, elle se tapent une heure de musculation suivie d'une série de sprints dans la piscine pour développer force, cardio et endurance. Après, ce sont les figures et les chorégraphies exécutées à un rythme d'enfer. Elles cherchent tellement l'explosion dans les mouvements qu'elles font tourner les pièces musicales 10% plus vite. Pour accélérer les enchaînements. Pour être les meilleures au monde.

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La nage synchronisée n'a pas toujours eu bonne presse. L'ignorance est source d'énormes inepties. Ce sport exigeant mérite tellement mieux qu'une moquerie dans un Bye Bye quelconque.Elles sont 12. Élise, Maripier, Joannie, Chloée, Valérie, Tracy et les autres. Dix viennent du Québec, une de Toronto et une autre de Vancouver. Leur coach est Julie Sauvé, qui a pratiquement inventé les méthodes d'entraînement avec les jumelles Villagos et Sylvie Fréchette. Elles sont 12 et sont soudées comme pas une équipe ne peut l'être. Le faut. Quand elles y vont d'une performance de cinq minutes dans une Coupe du monde, chaque fille doit mémoriser 1000 gestes. Ça fait 8000 gestes qui doivent être parfaits et exécutés en synchronisme. Si le bras doit être à 45 degrés, il faut qu'il soit huit fois à 45 degrés, à la même fraction de seconde.

C'est féroce comme entraînement parce le sport est féroce. Les pulsations cardiaques de Chloée atteignent 205 pendant une épreuve. Les autres gravitent autour de 190. Elles doivent dépenser une énergie folle sans apport d'oxygène pendant des laps de 35 secondes. «Et quand on a fini, quand on a les jambes dans la glace tellement on ne les sent plus, il faut sourire pour convaincre les juges qu'on est top forme et qu'il nous en reste», explique Maripier en... souriant.

Faut dire qu'elles sont toutes brillantes. Une commence une réponse, une autre ajoute un commentaire et le feu roulant devient étourdissant. Deux des filles font leurs études d'actuariat, une est en psychologie, une autre fait son entrée en médecine, une complète son bac en administration. On les écoute et on se demande comment elles font. «On s'entraîne six heures par jour, six jours par semaine. On étudie l'après-midi et le soir», répond Élise.

Et les chums? La moitié des filles trouvent le moyen d'avoir un chum. Mais comme le dit une du groupe, faut que les gars soient très patients.

Valérie a vécu trois ans avec Angelo Esposito, l'ancien des Remparts de Québec et du Junior de Montréal. Elle a un petit sourire à peine ironique quand on veut comparer leurs entraînements. «Ça ne se compare pas du tout. Eux, ce sont des sportifs, nous, nous sommes des athlètes», dit-elle pour tenter d'expliquer leur réalité.

C'est au niveau du concept d'équipe que la différence est encore plus grande. Les joueurs de hockey, comme les footballeurs ou les joueurs de basket ou de baseball, sont des entreprises individuelles générant des millions forcées d'évoluer dans un semblant de collectivité. Alors que les filles doivent fusionner. Même allure, même bronzage, même musculation, même abnégation. En nageant, elles se donnent des coups de pied qui laissent des bleus sur les jambes. Elles ne font pas exprès mais c'est continuel. Il faut continuer à sourire pour les juges et surtout excuser la partenaire. «On est comme une grande famille. Dans une famille, on se chicane mais on se pardonne», lance Élise. Ou une autre, ça allait trop vite pour le calepin.

«Physiquement, il faut qu'on devienne des machines», dit Joannie. Et mentalement, elles doivent se discipliner. Elles évoluent dans un sport jugé. Être passées de sixièmes à quatrièmes aux Jeux est un bond énorme. C'est pour le moins étrange, mais c'est comme ça.

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Il y a des difficultés qui les attendent. Douze filles, même frugales, ça coûte cher quand elles doivent voyager aux quatre coins du monde pour représenter le Canada. Sans parler de la coach, du physio qui sert de technicien pour le son et de l'équipe d'appui.

Une épreuve en Europe coûte 45 000 $. Il devient impossible d'accumuler les allers et retours. La solution la moins pire serait d'installer l'équipe en Espagne pour sept ou huit mois afin de lui permettre de disputer les épreuves de Coupe du monde et les différentes rencontres nationales. Question de montrer les filles aux juges. Pour que le préjugé soit favorable aux Jeux.

Mais elles sont universitaires, elles ont des familles, elles ont des chums, certaines trouvent le moyen d'avoir un emploi à temps partiel. Comment concilier tout ça?

La solution idéale serait qu'une ou plusieurs entreprises réalisent que ces filles belles en dedans et en dehors pourraient servir à mousser une image. Mais ne vous trompez pas, les filles de Julie Sauvé ne se plaignent pas. Elles adorent leur sport, elles adorent leur vie spartiate, elles adorent l'idée d'aller planter les Japonaises, les Russes ou les Américaines à Londres en 2012. Elles adorent en fait cette quête de perfection.

Mais elles ne devraient pas être obligées de se battre contre la misère pour que les honneurs rejaillissent sur le Canada.

Et quand on cherche des modèles à offrir...

Photo fournie par Jean-Paul Blais

Elles sont 12, dont 10 Québécoises, à former l'équipe canadienne de nage synchronisée.