Dans son premier budget, le ministre Raymond Bachand devait relever un défi colossal. Entre 1999 et 2009, les dépenses de programmes de l'État québécois ont augmenté en moyenne de 4,8% par année. L'an dernier, la ministre Monique Jérôme-Forget avait annoncé qu'elle plafonnait cette croissance à 3,2%. Aujourd'hui, on se rend compte que ce sera loin d'être suffisant pour atteindre le déficit zéro dans quatre ans, échéancier que s'est fixé le gouvernement.

Le déficit de l'exercice qui a pris fin hier s'élève à 4,3 milliards. Mais ce chiffre est trompeur. S'il veut éliminer le déficit d'ici à 2014, M. Bachand a besoin de beaucoup plus d'argent. Pour mesurer le réel effort de compression qu'il doit s'imposer, il faut voir ce qui arrivera si les dépenses continuent d'augmenter au rythme annuel de 4,8%. En 2013-2014, le Québec se retrouverait avec un déficit insupportable de 12,3 milliards. Voilà donc la véritable somme que M. Bachand doit trouver.

Pour y parvenir, il joue à la fois sur l'augmentation de ses revenus et la diminution de ses dépenses.

Pour un ministre des Finances, augmenter les revenus, c'est facile. Comme il fallait s'y attendre, M. Bachand se paie la totale: introduction d'une contribution pour la santé, hausse de la taxe de vente, hausse importante de la taxe sur l'essence (qui passera de 15,2 à 19,2 cents le litre en quatre ans), hausse de la tarification de presque tous les services publics (avec une exception notable pour les garderies). Toutes ces mesures devraient rapporter, en fin de compte, 3,5 milliards.

Les entreprises passeront aussi à la caisse, non seulement parce qu'elles paieront leur essence plus cher, mais aussi parce que M. Bachand revoit à la hausse les droits miniers et impose une taxe temporaire aux institutions financières. Il y en a en tout pour 800 millions.

En tenant compte des ménages et des entreprises, le ministre augmente donc ses revenus de 4,3 milliards.

Il lui manque encore la bagatelle de 8 milliards.

Le ministre sait bien que l'élimination du déficit ne peut pas se faire seulement sur le dos des particuliers et des entreprises. Le gouvernement aussi doit faire sa part.

Il annonce donc des mesures qui lui permettront d'épargner 6,9 milliards. Ainsi peut-il affirmer fièrement que «plus de 60% de l'effort requis pour retrouver l'équilibre budgétaire sera fait par le gouvernement».

L'affirmation est pour le moins téméraire.

M. Bachand fait grand cas de la cure minceur qu'il entend imposer à l'appareil de l'État: évaluation systématique de tous les programmes et de l'efficacité administrative, examen serré des contrats de service, meilleure organisation du travail, économies d'échelle, gains de productivité. Bravo. Sauf que ces beaux projets, s'ils se réalisent, déboucheront sur des économies de 530 millions, autant dire une goutte d'eau dans l'océan. Ce n'est pas avec cela qu'on atteindra le déficit zéro.

Le ministre compte aussi aller chercher 1,2 milliard en intensifiant ses efforts dans sa lutte contre l'évasion fiscale. Souhaitons-lui bonne chance. Presque tous les ministres des Finances, depuis 30 ans, ont annoncé la même chose, avec des résultats divers. En fixant un objectif de 1,2 milliard en quatre ans, le moins que l'on puisse dire, c'est que le ministre place la barre haut.

Mais le gros morceau proviendra du plafonnement de la croissance des dépenses: 2,9% cette année, puis 2,2% pour chacune des trois années suivantes. Québec économiserait ainsi 5,2 milliards. On l'a vu, pendant 10 ans, la moyenne a été de 4,8%. La cible est donc extraordinairement ambitieuse, et on peut même se demander sérieusement si elle est réaliste.

Ça ne s'arrête pas là. En augmentant ses revenus de 4,3 milliards et en réduisant ses dépenses de 6,9 milliards, le gouvernement comble donc un trou de 11,2 milliards. Il manquera encore 1 milliard pour atteindre le déficit zéro. Les documents budgétaires restent vagues à souhait sur ce point. On se contente de désigner la somme comme un «solde à résorber», en espérant peut-être qu'Ottawa lui verse une couple de milliards dans le dossier de l'harmonisation de la taxe de vente.

Autrement dit, si la colonne des revenus se tient, la colonne des dépenses est beaucoup plus floue. Tous les Québécois ont intérêt à ce que le ministre réussisse, mais on y croira quand on le verra.