Il y a un peu moins d'un an, en avril 2009, le gouvernement russe a décrété triomphalement la fin de ses «opérations antiterroristes» en Tchétchénie.

Cette annonce marquait la fin symbolique d'un conflit qui avait occasionné deux guerres et une longue série d'attentats contre des civils.

Vue de Moscou, la politique de l'ancien président Vladimir Poutine, qui avait juré de «buter les terroristes jusque dans les chiottes», semblait porter ses fruits. Le dernier attentat suicide dans le métro de Moscou remontait à l'été 2004. Le gouvernement semblait être venu à bout des rebelles. Grozny, la capitale tchétchène dévastée, reprenait du poil de la bête.

 

Il y avait bien encore quelques turbulences en Tchétchénie et dans les républiques voisines du Caucase russe: l'Ingouchie et le Daguestan. Mais ces turbulences paraissaient bien lointaines. Les médias russes y donnaient peu d'écho. Respirant enfin après des années de menaces terroristes, les habitants de Moscou avaient le sentiment de vivre dans une bulle de sécurité. Et dans l'illusion d'un conflit définitivement réglé grâce à la méthode forte du Kremlin.

C'est cette illusion qui a crevé hier matin, quand deux attentats suicide ont de nouveau semé l'horreur, en pleine heure de pointe, dans des stations centrales du métro de la capitale.

Cet acte de terrorisme, que les autorités russes attribuent à deux femmes originaires du Caucase, a causé un choc d'autant plus grand qu'il a replongé les Russes dans le cauchemar du début des années 2000. Quatre mois après l'attentat contre le Nevski Express, le train qui relie Moscou à Saint-Pétersbourg, la double explosion a ramené la peur dans la capitale russe.

Illusion crevée aussi pour le Kremlin, qui s'enorgueillissait de ses succès en Tchétchénie. C'est vrai que la situation s'y était apaisée depuis quelques années, reconnaît le politologue Jacques Lévesque, de l'UQAM. Mais les leaders rebelles qui n'ont pas été tués ne se sont pas évaporés pour autant: ils ont plutôt déménagé en Ingouchie ou au Daguestan. Moins centralisée, plus multiforme, la rébellion n'a pas disparu. Elle s'est déplacée.

L'apaisement lui-même a été bien partiel. La Tchétchénie a connu une explosion de violence «incroyable» en 2009, signale Allison Gill, responsable de Human Rights Watch à Moscou.

En d'autres termes: les attentats et les affrontements armés ont peut-être diminué, mais les groupes armés et les hommes de Ramzan Kadyrov, le président pro-russe de la Tchétchénie, ont continué à terroriser les civils. Enlèvements, incendies «punitifs», assassinats, torture, prisons secrètes: la population tchétchène n'a jamais cessé de vivre dans la terreur.

«Beaucoup de Tchétchènes sont désespérés, effrayés, impuissants devant les abus dont ils sont victimes», dit Allison Gill. Tellement désespérés que plusieurs ont fini par «aller dans le bois», c'est-à-dire rejoindre à leur tour les rangs des rebelles.

Dans les derniers mois, le gouvernement russe a voulu marquer encore plus clairement un virage dans sa politique au nord du Caucase. En janvier, il a nommé un nouveau responsable de cette région, chargé de voir à sa croissance économique. Les conflits politiques irrésolus par la force allaient peut-être se dissoudre dans la prospérité, croyait-on à Moscou.

Il y a peu de chances pour que cette stratégie survive au double attentat d'hier matin. «Les terroristes seront anéantis», a dit le président Dmitri Medvedev, sur un ton qui n'est pas sans rappeler les déclarations de guerre passées de son prédécesseur, Vladimir Poutine.

En défiant le pouvoir russe, les terroristes risquent d'alimenter une nouvelle vague de répression, d'autant plus vive que Moscou voudra «régler» le problème une fois pour toutes avant les Jeux de Sotchi. Mais comme c'est généralement le cas avec les tentatives d'éradication des mouvements terroristes par la seule force, cette répression risque de jeter de nouveaux Caucasiens dans les bras d'organisations rebelles.