La décision de Google de dérouter son trafic internet de la Chine continentale à Hong Kong, une région administrative qui jouit encore d'une certaine liberté de presse depuis sa rétrocession en 1997, offre une solution toute chinoise à ce conflit politico-commercial qui s'envenime depuis la mi-janvier.

Au-delà des déclarations théâtrales de part et d'autre, ni Pékin ni Google n'a perdu la face ou son «mianzi» dans cette histoire. Et c'est fondamental dans une société où la honte est la pire chose qui puisse vous arriver.

Après s'être fait fortement critiquer pour avoir accepté de censurer ses résultats de recherche à son arrivée en Chine, en 2006, la société Google se refait maintenant une virginité auprès des défenseurs de la liberté d'expression. Son slogan «Do No Evil» retrouve ainsi tout son sens.

Mais ici comme dans tout, la réalité n'est pas tout à fait aussi nette et contrastée. En simple, ce n'est pas un cas de noir sur blanc.

En entrevue cette semaine, Sergey Brin, cofondateur de Google, a raconté avoir récemment retrouvé en Chine la répression soviétique et la persécution antisémite qu'il a fuies en quittant sa Russie natale à l'âge de six ans. Les tentatives de piratage pour avoir accès aux boîtes de courriels personnelles de dissidents politiques auraient fait déborder le vase, selon lui. Pourtant, la censure et la répression envers les dissidents chinois étaient tout aussi palpables en 2006, lorsque Google s'est implantée dans l'Empire du Milieu.

Par ailleurs, le site hongkongais de Google a beau être plus libre que son pendant en Chine continentale, les internautes chinois du «Mainland» ne verront pas vraiment la différence. Les murs pare-feu de la Chine préviennent les recherches avec des mots clefs jugés subversifs ou censurent des liens dans la liste des résultats, selon le New York Times. Bref, c'est un peu du pareil au même.

De son côté, la Chine peut se targuer d'avoir fait respecter ses lois. Il fallait lire les titres vindicatifs dans la presse chinoise pour voir à quel point Pékin a cherché à faire du kilométrage dans l'opinion avec cette affaire, décrite comme une attaque envers la souveraineté du pays.

«La Chine n'a pas besoin d'une Google politisée», «Google rompt sa promesse», «Qu'est-ce qui se cache derrière cette farce qu'est Google?» a titré le China Daily. Ce quotidien a même laissé entendre que Google était le bras virtuel des États-Unis en raison de ses contributions électorales à la campagne de Barack Obama et des ex-employés de l'entreprise californienne qui travaillent maintenant à Washington.

Les apparences sont donc sauves, chacun ayant tenu son bout. Mais ce n'est pas un dénouement qu'on pourrait qualifier de «gagnant-gagnant», pour reprendre un affreux anglicisme qui sévit dans la communauté d'affaires. En fait, c'est plutôt «perdant-perdant».

En tournant son dos au marché chinois, Google se prive du plus grand bassin d'internautes de la planète, leur nombre étant actuellement estimé à 400 millions. Soit, Google n'a pas réussi à percer la muraille chinoise, à l'instar de nombreuses sociétés américaines qui ont échoué (Amazon, Expedia, MySpace) ou carrément quitté (eBay). L'entreprise n'arrive pas à rattraper le moteur Baidu, qui contrôle 63% de ce marché contre 31% pour Google, selon Analysis International.

Mais le recours à l'exception hongkongaise aura vraisemblablement des répercussions sur ses autres secteurs d'activité – et tout le monde sait à quel point Google est ambitieuse. Des analystes s'attendent ainsi à ce que China Unicom, le deuxième opérateur sans fil de la Chine, reporte aux calendes grecques son projet de lancer un téléphone s'appuyant sur la technologie Android. Et ce n'est que le début.

La Chine ne s'en sort pas indemne non plus. Le pays est de plus en plus perçu comme inhospitalier aux entreprises étrangères. L'affaire Google n'est d'ailleurs pas la seule à contribuer à cette perception. Le procès cette semaine de quatre dirigeants de Rio Tinto à Shanghai a donné des frissons dans le dos à bien des expatriés et des représentants chinois de multinationales occidentales.

Les quatre dirigeants (un ressortissant australien, trois chinois) ont reconnu avoir reçu des pots de vins dans ce procès au criminel qui se tient derrière des portes closes. Bien que les quatre hommes n'aient finalement pas été accusés d'espionnage industriel et de menace aux intérêts économiques de la Chine – ce qui était le motif de leur arrestation en juillet –, plusieurs craignent qu'ils ne soient les victimes collatérales de la décision de Rio Tinto de lever le nez sur l'aide financière du gouvernement chinois.

Les entreprises américaines s'inquiètent ainsi des politiques gouvernementales discriminatoires et du système judiciaire incohérent et imprévisible. Des 203 entreprises récemment sondées par la Chambre de commerce des États-Unis en Chine, 38% expriment maintenant un malaise, contre 26% à la fin de 2009.

Malaise. Méfiance. Sur fond de dispute sur la valeur (artificiellement dépréciée) du yuan. Il faut remonter à l'époque du président Richard Nixon pour retrouver des relations aussi tendues entre la Chine, les États-Unis et le reste de la planète. Lorsque la secrétaire d'État Hillary Clinton et le ministre des affaires étrangères Qin Gang se rencontreront à Pékin en mai, la table sera mise pour des discussions pimentées.